• Emission hommage sur Radio 6
  • 2001
  • Marianne Cassini

La générosité d’une femme de cœur et de caractère, une façon bien à elle de faire bouger le public, une bonne humeur naturelle et beaucoup de simplicité, une pointe d’accent américain, dans un français presque parfait, le rythme dans la peau, la musique dans le sang, Carole Fredericks était tout cela à la fois, et plus encore. Carole Fredericks était et demeure la marraine de Radio 6. Ecoutez un extrait de l’émission « Porte ouverte », réalisée en 2000, à l’occasion de l’ouverture de Radio 6 Boulogne :

L’animateur : Bonjour Carole.

Carole : Bonjour Stéphane, ça va ?

L’animateur : Toujours très heureux de vous accueillir [rire de Carole]. Et puis en plus vous venez pour une naissance. La naissance de Radio 6 Boulogne sur Mer. Alors vous voilà maintenant marraine de deux radios : à Calais et à Boulogne.

Carole : Quelle grande responsabilité, hein ? Je découvre plein de choses que souvent je ne découvre pas sur les autres radios, qui (sont) très bien. Moi je suis pour découvrir les nouvelles choses qui se passent, parce qu’il y a tellement de musiques qui (sont) créées ici en France et ailleurs et c’est bien qu’on ait un moyen d’entendre et bon bien sûr (il y a) des choses qui passent partout aussi mais Radio 6 est vraiment le champion pour ça et moi je suis très très contente de faire partie de l’équipe. »

Carole Fredericks est née un 5 juin à Springfield, dans le Massachusetts. Sa mère est chanteuse dans un Big band, son père est pianiste et parolier. Carole grandit dans une ambiance de musique, de blues et de gospel, autour de 7 frères et sœurs, tous artistes et musiciens. Son frère ainé, Taj Mahal, est l’un des plus grands bluesmen. Aretha Franklin et les Beatles sont les idoles de Carole et resteront ses plus fortes influences musicales. En 1972, Carole part vivre en Californie et commence à chanter dans différents groupes et en 1979, c’est le grand départ pour la France. Sans connaître un mot de Français, Carole débarque à Paris un matin de janvier. Un mois plus tard, elle rencontre Ann Calvet puis Yvonne Jones et elles forment ensemble un trio de choristes. Les séances vont se succéder avec les plus grands : Dalida, Johnny Halliday, Hugues Aufray, Carlos, Sylvie Vartan, Laurent Voulzy, Michel Berger, France Gall, Eddy Mitchell, jusqu’en 1986 où un après-midi, le téléphone sonne, c’est Jean-Jacques Goldman au bout du fil. Il nous raconte leur première rencontre :

« En fait, je l’ai vue la première fois, je crois à un concert de Michel Berger. Ensuite j’ai dû faire appel à elle pour faire une tournée d’été, pour faire un peu de gospel sur la chanson « America », parce qu’on avait fait le Zénith et on avait tout une chorale de gospel que je ne pouvais pas amener en tournée d’été parce qu’ils étaient rentrés à New York, et donc elle les a remplacés à elle toute seule. Au début elle était simple choriste et puis les liens se sont établis. »

En 1990, c’est l’aventure Fredericks Goldman Jones qui commence. Après plusieurs mois de séances et de répétitions en studio, l’album Fredericks Goldman Jones sort en décembre 91, couronné d’un disque de diamant et suivi d’une tournée mondiale jusqu’en 92. Comment l’idée est-elle née ? Réponse avec Jean-Jacques Goldman:

« C’était à la fin d’une très longue tournée, qui nous avait amenés en Afrique, en Asie, un peu partout dans le monde et on était dans un aéroport. Je leur ai dit ben voilà, j’ai commencé à travailler sur l’album prochain. Toutes les chansons qui viennent sont marquées par cette tournée donc ce sont des duos, des trios, est-ce que vous acceptez qu’on fasse un trio ensemble ?».

Jean-Jacques Goldman, une rencontre décisive pour Carole, génératrice de dizaines de projets, de rencontres, de véritables moments de bonheur. Mais aussi l’occasion de faire swinguer toute la France.

« Les gens disent tout le temps qu’on ne peut pas faire swinguer la France et tout ça. Ce n’est pas vrai. De plus en plus, il y a des groupes partout qui font swinguer la langue et c’est très bien. Donc si je fais un petit peu partie de ces gens qui font swinguer la langue, je suis contente ».

[Fredericks Goldman Jones - « Un, deux, trois »]

Après l’aventure Fredericks Goldman Jones, Carole commence en 1995, la préparation de son premier album solo, où elle se donne entièrement dans le registre qu’elle connaît le mieux : le blues et le gospel. « Springfield » sort en fin d’année 96, avec des textes signés Carole Fredericks, la participation de son frère Taj Mahal, des musiques de Gildas Arzel, Yvonne Jones, Jacques Veneruso, Jean-Jacques Goldman et des arrangements d’Erick Benzi. En 1999, malgré un planning très chargé, Carole trouve quand même le temps d’enregistrer un nouvel album, le deuxième et malheureusement le dernier, en Français, avec la participation de sa fidèle équipe, intitulé « Couleurs et parfums ». Carole Fredericks :

« J’ai pris énormément de plaisir d’enregistrer ce deuxième album solo, avec la famille. J’avais plein d’idées qui se sont vraiment réalisées et nous, on prend beaucoup de plaisir à les écouter et nous espérons que ça fait plaisir aux autres ».

Deux albums, dans lesquels nous retrouvons Jean-Jacques Goldman, un juste retour des choses. Carole Fredericks :

« Moi j’adore travailler avec les gens, des bons musiciens, des bons compositeurs, et Jean-Jacques fait partie des très très très bons ! [rire] Et j’ai eu beaucoup de chance qu’il m’écrive la chanson « Respire », qui est faite pour moi, et il a même fait les chœurs, donc j’étais très très contente et flattée ».

Deux albums solos qui n’ont rencontré qu’un succès confidentiel, mais selon Jean-Jacques Goldman, elle aurait probablement trouvé sa voie :

« Peut-être le fait d’avoir été choriste et puis d’aimer tant la musique, elle partait dans beaucoup de directions, que ce soit le R’N’B comme on dit, le reggae, le gospel, etc. C’était une artiste neuve finalement, donc elle aurait trouvé sa voie d’une façon ou d’une autre. Mais c’est le genre d’artiste, même quand ils n’ont pas de succès énorme, qui continue à faire leur métier parce que ce sont des professionnels. Il y a toujours des festivals de blues, des festivals de gospel où on fait appel à eux, tout simplement parce que ce sont des pros qui sont en dehors de la mode. Et puis un jour, elle aurait certainement trouvé le succès ».

Pour Jacques Veneruso, qui a également collaboré sur les deux albums, son style était cependant inimitable :

« Au niveau de son style, c’était unique parce qu’elle avait vraiment tout ce que j’aime au niveau de la musique black, de blues, de gospel, elle ne se forçait pas, ce n’était pas appris, c’était en elle évidemment. Pour ça, c’était un cadeau pour un compositeur et un beau challenge et c’est ce qui m’intéressait. D’ailleurs depuis, je n’ai plus l’occasion de trop toucher à ce domaine là parce que pour moi, c’était la seule représentante crédible de ce style là ».

Carole Fredericks adorait les gens, les artistes, et elle laissait une trace indélébile dans les cœurs. Patrick Fiori se souvient :

« Nous, on s’est rencontrés, c’était sur un duo, lors du tournoi de tennis de Rolland Garros, sur un plateau télé [NDLR : Emission « Tapis Rouge » diffusée le 27 mai 2000 sur France 2]. Jusque là, il n’y a rien de bizarre parce que c’est souvent ce qui peut arriver, et je me souviens qu’elle avait accepté de chanter une chanson que Jean-Jacques avait chanté qui s’appelait « Américain », et elle avait largement accepté de chanter avec moi cette chanson là et puis voilà. C’est ce jour-là que j’ai découvert cette jolie personne, cette femme incroyable, qui trainait avec elle comme ça, derrière elle, sur son passage, de la vanille, de l’amour, de la générosité. C’est vraiment quelqu’un de spontané. Quand elle voulait faire un truc elle le disait, quand elle ne voulait pas le faire, elle le disait. Elle savait vraiment parler aux gens, vraiment demander les choses, toujours avec beaucoup d’élégance et de sincérité ».

Carole : « Oui j’aime beaucoup partager avec les gens. Ecoute, j’avais fait ça pendant des années et des années avec Jean-Jacques et Mickaël, que ce soit en duo ou en trio ( ?). J’adore partager. Moi j’ai eu l’immense plaisir de monter sur scène et chanter en duo avec Michèle Torr (« Toute la ville en parle ») et récemment avec Jean-Jacques Milteau. J’aime ça, ça me fait vibrer, j’adore ça ».

[Carole Fredericks - « Respire »]

Parallèlement à sa carrière, Carole Fredericks s’est toujours beaucoup investie dans le milieu associatif. Elle donnait de la voix dans les concerts organisés pour les Restos du Cœur, mais aussi pour l’association « Les enfants de la terre ». Marie-Claire Noah :

« J’ai eu la chance de la connaître à travers Jean-Jacques Goldman, le jour où on organisait un concert pour notre association et il nous a demandé si on voulait que Carole vienne. Bien entendu, on a dit oui, et à partir de ce moment-là, elle est venue tous les ans, évidemment bénévolement, à tous nos concerts, avec une joie et un dynamisme extraordinaires. Donc sa disparition nous a tous énormément émus, surtout que c’était une semaine après être passée avec nous au Zénith de Paris. Elle faisait partie du groupe de chanteurs et de chanteuses qui, chaque année, à l’appel de Yannick, venait avec tout son cœur pour participer à la fête et comme toutes les recettes étaient données pour les enfants de nos maisons, elle savait très bien pourquoi elle était là. Parce que ce n’était pas un concert comme ça, bénévole. C’était un concert pour nous et elle nous le disait chaque fois ».

Autre bel investissement pour Carole Fredericks, les Restos du Cœur, avec la tournée des Enfoirés, qu’elle ne manquait jamais. Véronique Colucci :

«Elle avait toujours, toujours une attention. Je pense que les Restos du Cœur, c’est la chose qui la symbolisait ou qu’elle symbolisait le mieux. J’ai peut-être plus particulièrement le souvenir d’un concert qui a été donné au profit des Restos, à Ouveillan, qui est une petite ville dont les vignerons font une récolte spécifique au bénéfice des Restos. Jean-Jacques, à l’époque en formation avec Carole et Mickaël Jones, était venu chanter en plein air, dans la cour de la coopérative. Il tombait des cordes. C’était incroyable parce qu’ils ont fait tout le show, ils n’ont pas supprimé une seule chanson. A un moment, ils chantaient avec les palmes aux pieds, puisque c’était ce tour-là, et Carole dégoulinait d’eau. Elle avait sa robe qui lui collait au corps, et elle chantait avec une voix qui surpassait absolument tout. C’était somptueux parce qu’ils avaient été d’une totale générosité tous les trois. Et moi j’ai ce souvenir là ».

La générosité… Un seul mot pour caractériser Carole Fredericks, un mot qui revient dans tous les témoignages que nous avons recueillis, comme dans celui de Liane Foly, toutes deux complices sur la scène des Enfoirés et dans la vie de tous les jours. Liane Foly :

« Carole, c’était quelqu’un de très généreux, qui avait énormément d’humour. Moi, je m’entendais bien avec elle parce qu’on riait beaucoup ensemble. Elle me disait toujours [Liane Foly imite Carole Fredericks] : tu me fais rire, tu me fais rire Liane, tu me fais rire. Elle disait toujours ça. C’était le soleil Carole. C’était vraiment un soleil. D’abord par sa voix magique que j’adore. Ce qui nous reliait c’est qu’on était gourmande toutes les deux. Donc on s’entendait très bien pour faire des petites bêtises ! Et puis surtout l’humour, le rire. Le rire et la dérision. C’était quelqu’un qui ne se prenait pas du tout au sérieux, et qui avait compris beaucoup de choses sur la vie, sur les gens, et qui avait beaucoup de recul par rapport à ce qu’elle était et ce qu’elle faisait ».

C’est le 7 juin 2001, après un concert à Dakar au Sénégal, que Carole Fredericks rejoint le Paradis des artistes. Elle laisse orpheline toute sa famille, ou plutôt, ses familles :

« Quand je parle de ma famille, je parle de Jean-Jacques, de Mickaël, de Jacques Veneruso, d’Erick Benzi, Gildas Arzel, Yvonne Jones, Nicole Amovin et Christophe Battaglia. Ce sont des personnes avec qui j’ai tout le temps travaillé. Il y a aussi Alexis Grosbois, Pingouin. Il y a la famille quoi. Je dis toujours que c’est ma deuxième famille. Et j’ai même une troisième famille, mais c’est au Sénégal [rire] ».

En 2004, Lââm interprète avec Jean-Jacques Goldman, Mickaël Jones et Jacques Veneruso, « Ce qui nous manque de toi ». Un titre réalisé à la mémoire de Carole Fredericks. Le rire, la rigolade, c’est peut-être ce qui leur manque le plus aujourd’hui. Lââm :

« Elle rigolait tout le temps. Je garde toujours son sourire en tête. A chaque fois que je pense à Carole, je pense à son grand rire très communicatif. Je savais que quand je voyais Carole, j’allais rigoler. Que j’allais passer un bon moment. A chaque fois que je fais les Enfoirés, Carole me manque beaucoup. Je n’ai pas le même cœur qu’avant. Je le fais pour les gens qui sont dans le besoin, mais artistiquement parlant, c’est vrai qu’elle me manque beaucoup et humainement, ce n’est plus comme avant. Depuis qu’elle est partie, pour moi, ce n’est plus comme avant ».

[Lââm, Goldman, Jones, Veneruso - « Ce qui nous manque de toi »]