• Entretien avec Daniel Schick
  • Europe 1
  • 01 novembre 1999

[Carole Fredericks chante un texte écrit par Daniel Schick « C’est la fin de la semaine / Dans la nuit, je me promène / Je t’attends près de la fontaine / Et pourtant… / Je sais ta haine / Oh Baby / Love Me / Oh feel so lonely / Lonely »]

Daniel Schick : Voilà. C’était pour vous prouver qu’à partir d’un texte nul [rire de Carole], le talent rend un texte absolument génial !

[Jingle de l’émission]

Bonsoir, merci de choisir d’écouter Europe 1. Vous avez compris qu’elle a de la voix, du talent, du tempérament, de l’imagination et le sens de la liberté. Elle s’appelle Carole Fredericks [NDLR : prononcé à l’américaine], vous l’avez compris, elle est donc danseuse étoile [rire de Carole]… chanteuse étoile.

Il y a quelques mois, un album qui s’appelle « Couleurs et parfums… » est sorti mais aussi un single « Respire ». Il va falloir me donner des cours de respiration d’ailleurs [rire de Carole].

…/…

Bonsoir, Carole Fredericks

Bonsoir. Ca va ?

Ca va mieux. Disons que j’avais peur que mon texte soit nul et puis en fait, je m’aperçois qu’avec le talent, un texte médiocre devient génial !

Ecoutez, le texte était toujours nul [rire]. Mais c’est vrai, c’est difficile de donner un texte comme ça et de l’interpréter tout de suite. Mais toi, tu étais nul hein.

Pourquoi ? Où est mon problème ? Quel est mon problème ? C’est la respiration ?

Ce n’est pas la question de respiration mais d’interprétation.

Ha… Non mais moi je veux bien. Par exemple [Daniel chante « Oh love my baby »]. Qu’est-ce qui ne va pas ?

[rire]. Bon « ça » c’était mieux, mais un peu plus de voix ! Un peu plus de coffre.

Le ventre ?

Non pas le ventre : le diaphragme.

Le diaphragme ?

Voilà… [soupir]

[Daniel chante « Oh love my baby »]

Heu…

Non, ce n’est pas le diaphragme.

Il y a des gens qui sont doués et d’autres qui ne le sont pas mais tu es très doué pour la radio.

Mais peut-être pas pour la chanson.

Heu… Peut-être pas !

Oui, évidemment : moi, je n’ai pas eu comme vous, un tonton, une tata, une maman et un papa dans la musique. Vous n’avez aucun mérite d’être l’une des plus grandes voix de ce siècle [rire de Carole]. Sachant d’où vous venez !

Ce n’est pas vrai en plus !

Comment ce n’est pas vrai ?! Vous voulez que je vous rappelle ? Votre mère était chanteuse dans un big band, votre père était pianiste et parolier, et toute la famille était plus ou moins dans la musique.

Ben oui…

Donc vous n’avez aucun mérite. Et en plus vous venez des Etats-Unis où on chante dans la rue [rire de Carole].

C’est injuste. Mais bon, c’est un petit don du ciel.

Du ciel ?

Oui

Ah ! Vous êtes un don du ciel, vous ?

Oui. Je pense que nous avons tous un don du ciel.

Pas moi pour la chanson.

Oui mais pour quelque chose d’autre peut-être !

Vous considérez que vous êtes un cadeau que Dieu a fait aux hommes ?

Moi ?

Oui.

Bien sûr que oui !

Ah ! évidemment…

Ha ! Ho !

L’humilité, vous connaissez ?

[Eclat de rire]

Ca veut dire donc « non » en anglais, c’est ça ?

Devant toi non [rire]

Carole Fredericks : devant moi, une femme, avec comme d’habitude, beaucoup de bijoux. Je peux voir ? Voilà, ça, ça n’a pas changé. Enormément de vernis à ongles. Cette fois-ci c’est bleu ciel, bleu Roy, un peu. Et puis il y a toujours des cheveux, comme cela, colorés. Tout ça, c’est pour cacher qui ?

Rien, je suis toujours comme ça. Même petite fille, j’adorais porter des bijoux et des couleurs. Mais ce n’est pas pour cacher quelque chose. Je suis une fille, une femme, très coquette comme plein de femmes et bon voilà !

[Silence]

Je n’accepte pas la réponse mais je dois faire avec… [rire de Carole].

Je ne cache rien. Je ne me trouve pas différente des autres femmes qui adorent s’habiller, se maquiller, porter des bijoux. Le côté « fou-fou » c’est peut-être parce que je suis gémeaux, je ne sais pas. Mais voilà, j’ai toujours été ainsi.

Mais vous dites : je ne cache rien. Quand vous chantez, vous vous mettez encore plus à nue que quand vous parlez là, ou pour vous, il n’y a pas de différence ? Vous êtes autant exhibitionniste dans la rue que sur scène [rire]

Je ne me trouve pas exhibitionniste du tout ! C’est drôle ! Il est drôle, ce Daniel !

Il fait ce qu’il peut, en face de vous !

Mais non ! Quand je monte sur scène, il y a une espèce de magie qui me prend et c’est autre chose. Vraiment la scène, j’adore parce que je vis différemment. Je fais des choses sur scène que je ne fais pas autrement. Mais là, je suis peut-être exhibitionniste. C’est drôle parce que souvent, les gens qui sont timides, quand ils montent sur scène, c’est autre chose. Et quand ils descendent de la scène, ils redeviennent timides. Je ne suis pas tout à fait timide, mais être exhibitionniste, je ne crois pas…

Non plus. Est-ce que vous chantez l’amour pour trouver l’amour ? Et est-ce que cela a marché ?

L’amour pour trouver l’amour…

Chanter l’amour…

[hésitation] Je pense que tout le monde aimerait trouver l’amour.

Oui mais on s’en fout de tout le monde ! [rire de Carole] Vous voyez ? Vous fuyez déjà…

Non, pas du tout ! Bien sûr, j’adore les chansons d’amour et bon, si cela amène à un amour, pourquoi pas ?

Mais ça s’est produit déjà ? Ou on rêve ça puis on s’aperçoit très vite que ça ne marche pas. Qu’il ne suffit pas de chanter l’amour sur scène pour qu’ensuite un homme vienne vous dire je t’aime.

Il y a des gens qui me disent cela tout le temps !

Vous y croyez ?

Non [rire]. Non mais tu sais les gens disent ça sur le moment parce qu’ils sont excités et qu’ils t’ont vue sur scène.

Et au fait là, tu me dis tu…

Oui je sais…

Je suis navré mais on ne s’est vus que deux fois dans nos vies respectives…

Exactement, c’est horrible… Mais je suis comme ça. C’est plus facile pour moi parce que j’ai le Français comme ça. Je n’ai pas pris de cours et tout de suite, j’ai tutoyé les gens parce que c’était des musiciens et qu’on était en tournée. Mais je vouvoie les personnes âgées. Mais si « vous » voulez…

Non, je ne suis pas assez âgé… [rire de Carole]. Vous seriez amoureuse de moi, Carole Fredericks…

Ah ! je ne crois pas [rire]

Non non, attendez. Pourquoi pas ? Parce que je suis blond ?

[rire] Oh pas du tout ?

Je suis trop jeune ?

Oh non pas du tout, pas du tout. C’est pour te taquiner…

Bon. Je reprends. Vous seriez amoureuse de moi, ne le diriez-vous pas à votre famille, parce que je suis jeune, beau, riche, célèbre et menteur, ou parce que je suis blanc/blond ?

Heu… Menteur oui. Si c’était quelqu’un de menteur, je ne le dirai à personne et j’espère que je ne tomberai pas sur quelqu’un comme ça. Mais la couleur, ce n’est même pas important. Si on peut trouver l’amour, on s’en fiche.

Vous n’avez jamais été raciste ?

Je pense que tout le monde est raciste. Quand les gens disent « je ne suis pas raciste », je dis [Carole souffle]. On a tous quelque chose que l’on doit travailler dans ce domaine là.

Parce qu’aux Etats-Unis, votre famille a été l’une des premières familles noires à s’installer dans une rue où il n’y avait que des blancs. Donc on verra comment ça s’est passé. Mais on imagine qu’il y a eu du racisme dans un sens, évidemment, la majorité blanche par rapport à la petite minorité familiale noire, mais on n’imagine pas le contraire. Est-ce que vraiment, si vous m’aimiez, moi qui suis blanc de blanc de peau, vous pourriez le dire et me montrer, me présenter à votre famille, ou vous auriez peur du jugement, parce que vous trahiriez la communauté noire-américaine ?

Surtout pas ! Ma famille est très ouverte et justement, j’ai deux belles-sœurs qui sont blanches. J’ai un beau frère qui est blanc aussi. Donc voilà, vous êtes déjà dans la famille ! [Rire].

[rire] Chouette ! Vous avez chanté, il y a un certain temps, mais vous le faites encore, j’imagine pour votre plaisir, du gospel dans une chorale. Chanter du gospel, c’est prier. Mais quand vous chantez, là en l’occurrence Jean-Jacques Goldman par exemple, vous priez aussi ? Quand vous chantez sur toutes les scènes de France, vous priez ? Et vous considérez que le public est à convertir ?

Je fais des prières quand je monte sur scène, parce que j’ai toujours peur et j’ai le trac. Quand je chante du gospel, je m’éclate. C’est différent parce qu’il y a les paroles de Dieu dedans et c’est une autre chose. Avec Jean-Jacques et Mickaël je me suis éclatée en chantant avec les gens et avec le public. Ce sont deux choses différentes.

Vous avez prié depuis ce matin ?

Oui.

Où ? Quand ?

[rire] C’était ce matin.

Chez vous comme ça…

Oui, j’ai remercié le bon Dieu et voilà…

Et ce soir, quand vous allez vous endormir, vous allez comme Marylin Monroe, vous mettre quelques gouttes de Chanel numéro 5, ou quelques gouttes d’eau de bénitier ?

Je mets l’eau bénite le matin.

Et le soir Chanel…

[éclat de rire] Il est fou…

Désolé. Le matin, vous faites quoi avec l’eau bénite ?

Vraiment c’est personnel hein !

Mais alors vous êtes là pour quoi ? [Rire de Carole] Pour être déshabillée chère Madame. Je ne fais que commencer ! [Rire de Carole]. Bon on ne saura jamais ce qu’elle fait de l’eau bénite. Elle le met derrière le lobe gauche de l’oreille. Voilà. [Carole rit de bon cœur]. Bon, elle ne veut pas continuer. Ecoutons-la chanter ! Ecoutons là chanter ! « Respire ». Carole Fredericks sur Europe 1.

[Carole Fredericks – « Respire »]

Vous êtes bien sur Europe 1. Texte et musique imaginés par Jean-Jacques Goldman. C’est un extrait de l’album « Couleurs et parfums ». Carole Fredericks, vous serez sur la scène à Paris du 2 au 11 décembre et ça c’est plutôt original parce que le lieu n’est pas assez connu à mon avis des Parisiens. Il est à deux pas de Saint-Germain-des-Prés, du Flore, des deux Magots et de cette merveilleuse église. Vous serez à l’auditorium de Saint-Germain-des-Prés du 2 au 11 décembre et puis même le 31 décembre au Lido de Paris. Au moins vous, vous saurez où vous serez pour le passage du deuxième au troisième millénaire [rire de Carole].

Je voulais vous demander ceci : lorsque vous êtes arrivée il y a une vingtaine d’années, vous avez commencé par la petite porte, comme on dit, c’est-à-dire que vous avez beaucoup chanté avec d’autres, derrière d’autres. Alors évidemment la liste, vue de loin, est impressionnante : vous avez travaillé avec Dalida, Johnny Hallyday, Laurent Voulzy, Michel Berger, Eddy Mitchell. Plus tard avec Gilbert Bécaud, puis Mireille Mathieu. Puis plus tard avec Céline Dion, Elton John, Eric Clapton. Enfin ça fait beaucoup de gens qui ont des égos assez forts. Un de vos talents, c’est l’abnégation [rire de Carole]. C’est de savoir porter les coups et d’être maltraitée dans l’ombre.

Pourquoi tu penses que les gens maltraitent les gens ? Les gens qui sont grands sont très humains. Et j’ai eu beaucoup, beaucoup de chance de travailler avec eux.

C’est-à-dire que vous ne dites pas : j’en ai bavé, on m’a méprisée…

Mais bien sûr…

Parce que je n’étais pas connu, je venais des Etats-Unis, je ne parlais pas trois mots de Français…

Il y a des gens comme ça, mais on trouve ces gens dans n’importe quel genre de métier. Et on fait avec. Quand quelqu’un me demande de travailler, j’accepte le travail et je fais le travail et peut-être je ne le refais pas ensuite mais…

Mais vous savez dire « non » quand même aussi…

Oui, mais il faut que tu sois diplomate aussi quand tu es choriste, parce que tu es choriste.

Parce qu’en fait, quand vous étiez choriste, vous n’aviez pas le complexe de devenir soliste. Vous saviez que c’était un moyen d’apprendre et vous avez fait au mieux votre travail de choriste.

Exactement

De votre part, il n’y a pas eu de jalousie par rapport au succès des autres…

Non, pas du tout. Moi je n’étais jamais envieuse. Il y a des raisons parce que je me suis dis que s’il y a quelque chose pour moi, ça va venir. Ma place est à moi. Je ne l’ai pas volée et si il y a quelqu’un d’autre qui a accédé avant moi ça m’a fait espérer, parce que je me suis dit que si c’est arrivé à elle ou eux, pourquoi pas moi ?

Alors il y a sûrement un de vos talents, c’est quand même la capacité d’adaptation parce que lorsque vous êtes arrivée en France, vous ne parliez pas le Français. C’était il y exactement 20 ans. En 79. Vous arriviez de Memphis, San Francisco, etc. Parlons de la capacité d’adaptation. Lorsque vous êtes arrivée en France, ça a été un véritable choc. C’est-à-dire que vous vous êtes sentie perdue, vous avez dévoré la France comme personne, ou vous avez eu du mal… Comment ça s’est passé ?

Au début, c’était tellement énorme que je me disais : qu’est-ce que je fais ici ? Mais c’était tellement beau Paris. J’ai découvert Paris. La première fois que j’ai vu la place de la Concorde j’ai pleuré. Je n’ai jamais pensé que la tour Eiffel pouvait être aussi grande. Tout était énorme pour moi parce que je n’avais pas mes repères. Mais vite fait, quand j’ai commencé à travailler, trois semaines plus tard j’ai commencé à faire des séances. J’ai donc eu énormément de chance. Là j’ai commencé à bosser et plus vite j’ai commencé à parler, même si c’était nul et avec beaucoup de fautes, ça devenait plus facile.

C’est-à-dire que vous avez presque chanté en Français avant de parler en Français.

Oui. Même sur les tournées que je faisais je chantais en Français et je ne savais (ce que je disais ?)

Est-ce que maintenant vous rêvez en Français ?

Oui, parfois. Et quand je rêve en Français, je parle parfaitement bien, aucune faute ! [rire]

Evidemment, aucune faute. Vous avez ou vous voulez la nationalité française ?

Non. Pourquoi ?

Depuis 20 ans en France, on pourrait imaginer que vous ayez envie de voter, de faire partie de la vie politique du pays qui vous accueille.

Non parce que je pense que je suis résidente ici, je paie mes impôts ici, je me sens bien ici, mais je peux voyager dans tous les mêmes pays avec mon passeport américain qu’avec un passeport français.

Aucun intérêt…

Non, parce que je ne suis pas Française. Mais je suis une Américaine qui habite en France et qui apprécie beaucoup et voilà.

Qu’est-ce qui vous manque ou qui vous manque, tout de suite, à la seconde où on se parle tous les deux ?

Aux Etats-Unis ?

Non. Est-ce que quelque chose vous manque ? Si je vous dis : qu’est-ce qui vous manque ? Vous pensez à quoi ?

Ca c’est privé [rire]

Encore ??!!

C’est privé donc voilà… Non mais il y a plein de choses. Moi, je n’ai pas à me plaindre parce que tout ce qui m’est arrivé, c’est quand même incroyable. Même moi je n’arrive pas à y croire parfois. Je me dis : mais ce n’est pas possible !

Mais pourquoi est-ce que vous faites semblant ? Ca c’est vraiment Américain. Que tout va bien, on gère tout, on dirige tout…

Moi je ne fais pas semblant…

On a l’impression que vous n’avez jamais été victime de rien.

Mais c’est toi qui dis ça. Moi je n’ai pas dit ça, mais je ne vois pas pourquoi je vais parler de ces choses-là. Bien sûr, comme tout le monde, j’ai été victime de plein de choses. Mais moi, je parle des choses qui sont positives, parce qu’on passe notre temps de parler des choses qui sont négatives…

Mais ça peut être positif de dire : voilà, j’ai été victime de ça, mais je m’en suis sortie.

Bah oui mais bon… Quel intérêt ? Dis-moi, personnellement…

Ca s’appelle la pudeur ça de ne pas vouloir répondre ?

Peut-être, peut-être… Mais je suis comme tout le monde, j’ai des petits chagrins, j’ai des petits soucis, des angoisses, comme tout le monde. Ca sert à quoi ? Nous avons tous les mêmes choses.

Est-ce que vous avez vraiment ce métier pour recevoir des fleurs ?

Je fais ce métier parce que j’adore chanter. Je n’ai jamais pensé que je serais obligée de faire ce métier, de gagner ma vie, de vivre…

Non mais moi on m’a dit que petite, vous rêviez déjà de recevoir des fleurs…

Non, quand j’étais petite, je rêvais de chanter.

Alors les fleurs c’était après !

[rire] Ah, ce Daniel…

Bon. Et maintenant, quand vous recevez des fleurs avec des jolis mots, vous êtes troublée ou vous savez que ce sont des gens qui ne vous connaissent pas qui s’adressent à quelqu’un de connu ?

Ca dépend. Parfois, il y a des mots qui te touchent. Ca dépend, comme tout.

L’interview continue avec une autre artiste. Carole Fredericks parle très peu ensuite et l’interview s’arrête brusquement.