• Interview BMG - album « Springfield »
  • Ce CD comprend les réponses aux 13 questions inscrits sur la pochette du CD. Il a été produit afin de permettre aux journalistes de faire leur propre interview sans que la présence de Carole soit nécessaire.
  • 1997
  • Chrystèle Mollon

1/ D’où vient le titre de l’album ?

L’album s’appelle « Springfield », parce que c’est la ville où je suis née et où j’ai été élevée, et c’est à Springfield, au sein de ma famille, que j’ai écouté du blues, du jazz, du rythm’n’blues, du rock, du gospel... Quand j’étais enfant, c’était une ville avec beaucoup de maisons, très peu d’appartements, des arbres partout, c’était très vert, et c’était un endroit où il était idéal d’élever des enfants. Nous, on était la première famille noire dans notre quartier, et ça a chauffé un peu (rires)… et après on s’est compris.

Quand je repense à mon enfance dans cette ville, je me souviens bien que les quatre saisons étaient marquées : j’adorais l’automne, avec des feuilles de toutes les couleurs, l’hiver était bien froid avec la neige, le printemps était vert et beau et l’été chaud et humide… Springfield est une très très jolie ville de la Nouvelle Angleterre, et c’était la ville des arbres, c’était le nom que nous avions donné à Springfield pendant longtemps.

2/ Comment es-tu venu en France ?

Quand j’habitais en Californie, je chantais à la fois dans une fantastique chorale de gospel de 71 voix, « The New Generation Singers », et aussi dans un espèce de pub qui s’appelait « Top 40 » –l’équivalent du Top 50, et je chantais avec un trio dans le nord de San Francisco, dans une région de vignobles. Il y avait un restaurant français qui s’appelait « La belle Hélène », et je chantais là-bas, avec le trio, des standards de jazz et des choses comme ça.

Là-bas j’ai rencontré des Français là-bas qui m’ont dit : « Il faut que vous alliez en France ! ». J’ai dit : « Mais non j’ai jamais pensé à la France, je ne parle pas français, je ne connais personne… ». Mais finalement un beau jour, j’en ai eu ras le bol parce que je travaillais aussi dans un bureau, job pour lequel je n’étais pas du tout faite, mais il me fallait gagner ma vie et payer mes factures chaque mois... Et donc un beau jour je me suis dit « Mais pourquoi pas finalement ? Je ne veux pas regretter, à 50 ans, de ne pas avoir pris ce risque… Bon, j’y vais, j’y vais… » J’avais beaucoup de foi, et je me suis dit : « Je ne suis pas méchante, je chante à peu près bien… », et voilà je suis partie comme ça.

J’ai eu énormément de veine grâce… au Monsieur là-haut [elle lève la tête vers le ciel], parce qu’à l’aéroport, je suis tombée sur le propriétaire du restaurant français dans lequel je bossais aux Etats-Unis ! Faut le faire hein ! ! Il m’a dit « Mais qu’est-ce que vous faîtes ici ? », alors je lui ai répondu « Je viens tenter ma chance ». Il était avec des amis qui étaient très fous, très gentils, qui lui ont dit « Amène-là », et voilà !

Je suis restée avec eux quelques temps, ils m’ont emmenée partout avec eux dans des soirées. Et parce que j’étais chanteuse, tout le monde me demandait de chanter et voilà, pouf, trois semaines plus tard j’ai signé un contrat pour faire un album. C’était un album de disco qui n’était pas très bien, et qui s’est vendu à 10 exemplaires peut-être… Mais ça m’a au moins permis de rentrer dans les studios, de faire des séances, de rencontrer une fille qui s’appelle Anne Calvert, et trois mois plus tard Yvonne Jones, avec lesquelles on a commencé à faire des séances partout parce que ça passe par le bouche à oreilles, les gens parlent, et on a formé une très bonne équipe à cette époque là. C’était vraiment comme ça, on enchaînait les séances, puis ensuite les spectacles qu’on a fait avec Voulzy, avec Berger, avec France Gall, Eddy Mitchell, Mireille Mathieu et c’était comme ça !

3/ Comment as-tu rencontré Jean-Jacques Goldman ?

En 86 j’ai reçu un coup de fil chez moi, de quelqu’un qui disait : « Bonjour, je m’appelle Jean-Jacques Goldman ». J’ai commencé à rire, et il m’a dit : « Voilà, je cherche Carole Fredericks ». J’ai dit « C’est moi », et il m’a demandé si ça m’intéresserait de faire un espèce de gospel sur une chanson qui s’appelait Américain. J’ai dit « oui ». Et j’ai ri, alors il m’a demandé « Mais pourquoi tu ris ? », et j’ai répondu « Mais parce que, ça me plaît que ce soit toi qui m’appelle, et non pas un agent, sans intermédiaire… », et il m’a dit : « Mais ça me plaît aussi », et donc voilà c’est parti comme ça… C’est très simple, parfois les gens disent : « Mais comment elle a fait pour y arriver ? » Mais j’ai rien fait ! Les choses se sont faites d’elles-même. C’est pour ça que je dis que dans ce métier, c’est 80% de chance, et 20% de talent… Je ne cherchais pas, mais je suis bien sûr très contente que tout ça me soit arrivé. Avec Jean-Jacques, j’ai commencé comme choriste, mais je n’étais jamais derrière. C’était ça qui était drôle d’ailleurs, parce qu’il me poussait, il me disait :« Mais non, non non, chante plus, chante plus ! ». C’était drôle, mais je n’étais jamais derrière… C’était comme ça… J’ai commencé en chantant deux chansons, après trois, etc., voilà, le reste c’est un peu l’histoire quoi.

4/ Cet album est-il le début d’une carrière solo ?

Jean-Jacques, Michael et moi travaillons ensemble depuis 11 ans, sous différentes formes. J’ai commencé avec lui comme choriste, ensuite j’ai fait des chœurs sur ses albums à lui, il a écrit des chansons pour moi, il a fait des chœurs sur mon album, j’ai fait des chœurs sur cinq chansons de l’album de Céline Dion, qu’il a produit, Michael est en train de faire son album solo aussi -qui est somptueux, et Jean-Jacques a fait des choses là-dessus… Bref on travaille toujours ensemble, mais ça prend des formes différentes. Et nous, nous trouvons cela tout à fait normal : en tant qu’artiste, c’est la progression normale, on fait des choses séparément, mais on fait toujours des choses ensemble également. Parfois c’est Fredericks-Goldman-Jones, parfois c’est Jean-Jacques, Carole ou Michael, parfois c’est pour les autres, mais on travaille toujours ensemble.

5/ Que représente Springfield par rapport à ton premier album solo ?

En 1979, comme je ne parlais pas un mot de français, des gens se sont dit : « Voilà une fille on va la faire chanter », et c’est eux qui ont fait tout le disque, et ils ont tout décidé, je n’avais rien à dire, j’étais juste une voix. Cette fois-ci au contraire, j’ai choisi les chansons avec les gens, j’en ai écrit les paroles ; c’était moi qui étais "enceinte" et qui ai accouché avec tous ces gens-là. J’étais vraiment la pièce centrale de cet album, et j’avais tous ces gens autour de moi. Springfield est pour moi mon véritable premier album.

6/ Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant d’enregistrer cet album solo ?

Autour de moi, des gens, des fans me demandaient tout le temps : « Quand vas-tu faire un disque toute seule ? Quand vas-tu chanter du gospel et du blues ? » Or j’avais déjà chanté du gospel, du blues, donc je me disais non.. Mais comme les gens me le demandaient tout le temps, et qu’il est vrai que je chante très bien le blues… Mais j’étais quand même un peu intimidée aussi parce que mon grand frère est un chanteur de blues très très connu… Alors je me suis dit : « Ouh là là, ils vont dire que j’essaie de faire comme lui », alors que ce n’était pas ça du tout. Mais bon, maintenant c’était le bon moment, on avait le temps, on n’avait rien prévu pour Fredericks-Goldman-Jones, donc ça tombait très bien. Et tout de suite, les gens qui étaient convoqués pour travailler avec moi étaient tous pour, et tout s’est fait assez rapidement, et dans une très très bonne entente.

7/ Quels musiciens ont participé à Springfield ?

L ‘album est produit par Erick Benzi, que je connais parce qu’il a fait la tournée avec nous, et qu’il a travaillé sur deux albums de Fredericks-Goldman-Jones. On y trouve aussi Gildas Arzel, un ex-membre de Canada, qui a fait la première partie de Jean-Jacques quand je faisais les chœurs, Jacques Veneruzo, un ex-Canada lui aussi, avec lequel j’avais même fait des séances d’enregistrement. Yvonne Jones, avec laquelle je travaille depuis 18 ans parce que c’est l’une de mes meilleures amies et qu’elle chante divinement bien. Elle m’a même écrit une chanson, de même qu’Eric, Gildas et Jacques ; Jean-Jacques a écrit deux chansons, il a fait des chœurs, il a joué de la guitare. Le clavier Didier Moret, mes cuivres aussi, les Bat Bros, qui jouaient avec moi, et deux nouveaux, le bassiste qui jouait avec Erick, et Charlie Dole, qui est batteur et qui jouait avec eux. Donc tout ce monde-là était des gens avec lesquels on s’était croisés, ou on avait carrément déjà travaillé ensemble. Ce sont des amis, il y a beaucoup d’amour et d’amitié. Même mon frère m’a fait l‘immense honneur de venir jouer un peu d’harmonica et de chanter un peu ! C’était grandiose, parce que lui il m’a dit « Tu m’épates, les musiciens avec qui tu travailles sont vraiment super bien, la musique est parfaite ». C’était la bonne entente tout le long, c’était vraiment bien. Et là, pour la première fois, j’ai été poussée à faire des textes. J’ai fait douze textes… bon je ne dis pas que ce sont des textes à tomber par terre mais des textes qui tiennent debout.

8/ Comment s’est fait le choix de la Lafayette International Ensemble qui font les chœurs gospels sur l’album ?

On cherchait depuis un moment, et justement mon frère m’a appelée, en me demandant si j’avais besoin d’aide, besoin d’un musicien… Je lui ai dit que j’avais ce qu’il me fallait au niveau musicien, mais qu’on cherchait une chorale de gospel. Il m’a dit : « Ah, bouge pas, je connais des gens, avec qui j’ai bossé », et il nous a appelé le lendemain, et il nous a donné les coordonnées de Alaba Williams. On a pris contact avec lui, mon frère m’avait dit : « Tu ne seras pas du tout déçue », et il avait raison ! On est allé huit jours à NYC pour enregistrer les chœurs de gospel, 16 voix, moitié blanc, moitié noir. Parce qu’aux Etats-Unis, il y a des Blancs et des Noirs qui chantent le gospel. Et là c’était drôle parce que quand on voyait leur visage on se disait « bof », et quand ils ouvraient la bouche, ils étaient incroyables ! A un moment donné , j’ai pleuré de joie, parce que c’était si beau, et eux étaient là, si contents de le faire ! En plus, comme ils avaient déjà travaillé avec mon frère, ils étaient contents de rencontrer sa petite sœur… C’était drôle, parce qu’il y avait plein de petites choses, de liens : Alaba Williams venait de la même ville de Caroline du sud que ma mère. Un jour, alors que j’étais à la Nouvelle-Orléans pour tourner le clip, il y avait une espèce de baromètre sur la maison, sur lequel était marqué « Springfield »... Mais la chorale était magnifique, vraiment. Ils étaient là avec un bon esprit, ils chantaient bien, ils étaient heureux, et ça s’entend sur le disque !

9/ Que représente le gospel pour toi ?

Le gospel, c’est une musique sur laquelle on remercie Dieu en chantant, on parle de sa puissance, de sa majesté, c’est une musique qui vous touche au plus profond du cœur, et qui vous soulage. Certaines personnes entrent en transe ! Certains se roulent par terre ! Mais pas dans toutes les églises, ça dépend. Ce qui est bien et qui diffère des églises blanches ou occidentales, c’est que l’on peut dire « merci Mon Dieu ! », « Oui c’est vrai ! ». On peut exprimer notre foi en Dieu, on n’a pas peur du Bon Dieu, de Jésus, parce que ce sont des gens qui nous aiment.

10/ Es-tu croyante ?

C’est facile de croire en Dieu quand tout va bien. C’est très facile. Mais c’est quand tout va mal qu’on doit s’accrocher. Moi –je parle de ma religion à moi, parce que je n’essaie pas de changer les gens- toute ma vie j’ai été élevée avec ça, ma mère était très croyante, certaines personnes de ma famille aussi, et moi je sais, j’ai la preuve, j’ai ma preuve à moi. Je sais maintenant dans ce monde qui est tellement insensé qu’il faut que je m’accroche à quelque chose de plus fort. Parce que je ne suis rien sans Lui. Je ne peux pas expliquer pour les autres, mais je sais que moi je ne suis absolument rien sans Lui. Je fais mes prières pour tout le monde, parce que c’est facile de faire des prières pour soi-même. Mais ça l’est moins de prier pour les autres... Et surtout pour les autres qui n’y croient pas.

11/ Que voudrais-tu transmettre aux gens avec ce disque ?

Quand je chante, je me sens très bien. Et si je peux transmettre ces bons sentiments aux autres, c’est super ! Nous avons pris un immense plaisir à faire cet album. Et si les gens pouvaient ressentir ce plaisir, ce serait super ! On ne peut rien demander d’autre que ça.

Aussi, une autre petite chose : c’est vrai que tout ce qui est musique noire est mon héritage, mais j’ai toujours été très musique noire et rock, toute ma vie. Les gens sont toujours étonnés de ça, mais j’adore le rock, le rock pur et dur, le rock anglais, américain… Je suis très Aerosmith, Metallica… Certains me regardent, trouvent ça bizarre… Mais il y a quelque chose là dedans qui me fait vibrer. Il n’y a pas de frontière en matière de musique. Souvent, quand je chantais avec Jean-Jacques et Michael, des gens me faisaient des réflexions, me disant : « Je suis sûr que tu t’emmerdes ». Je disais : « Non, je ne m’emmerde pas du tout ! » La musique n’a pas de couleur, ni de langue, on peut la comprendre même si c’est dans une langue lointaine, si ça nous touche ça nous touche. Et c’est ça le pouvoir de la musique. Parce qu’il y a un pouvoir incroyable dans la musique.

12/ A l’instar de certains noirs Américains, te sens-tu des racines africaines ?

Je suis Noire américaine, et je viens d’Afrique, et je suis très fière de ce lien, parce que ce sont là mes racines, et les racines te donnent ta force. On peut mépriser plein de choses, mais il faut connaître ses racines, parce qu’elles sont fortes, c’est par elles que nous nous stabilisons. J’ai deux amies, Yvonne Jones, et Nicole Amova. Cette dernière est Sénégalaise et elle est comme ma sœur. La première fois que j’ai mis les pieds au Sénégal (c’était la première fois que je mettais mes pieds en Afrique noire), j’ai eu le sentiment que je revenais chez moi. Je suis allée sur l’île de Gorée parce que pour moi c’était comme un pèlerinage d’aller à la maison des esclaves. Je suis entrée dans cet endroit, et c’était comme si quelqu’un m’avait arraché le ventre. J’ai pleuré, j’ai touché les murs… Je ne m’attendais pas à ressentir une telle émotion ! Pour moi, c’était le dernier vestige de mes ancêtres. C’était fort, mais je n’étais pas amère après, contrairement à ce que craignaient certaines personnes, c’était quelque chose qu’il fallait que je fasse, et que j’ai fait. Ca m’a rendue plus forte, et je me suis dit : «Voilà, eux ils ont survécu, et c’est horrible. Donc moi, mes petits soucis, c’est rien ».

13/ Rêves-tu d’un succès aux Etats-Unis, ton pays natal ?

Je suis en France depuis 18 ans, et c’est la France qui m’a tout apporté vis à vis de ma carrière. Avec cet album, si ça marche en France, je serai très reconnaissante, mais il y a aussi les autres pays francophones, l’Europe… Je vais pas dire non pour les Etats-Unis sous prétexte que ça ne m’intéresse pas parce que je n’habite plus là-bas depuis 18 ans. Je suis une Américaine... en France ! Comme le disait Joséphine Becker [elle se met à fredonner] : « J’ai deux amours, mon pays et Paris » Et bon voilà ! Donc si ça marche, je ne vais pas dire non, mais ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse. Je n’ai jamais dit : « Il faut que je sois une vedette », nulle part. Moi je voulais chanter, et chanter avec des gens biens. Et c’est ce que j’ai fait, grâce à Dieu et grâce à des gens très très bien. Ce n’est pas quelque chose qui m’occupe l‘esprit.

14/ Bonus Ariola/BMG

C’est très bien, j’ai une équipe d’enfer ici, chez BMG Ariola, qui y croit, et ça c’est très important parce que c’est extrêmement agréable d’avoir une équipe derrière soi, qui, tu le sens, y croit, et qui aime la musique. Et j’ai de la chance d’avoir des gens comme ça autour de moi.