lundi 1 janvier 2001

Emission hommage sur Radio 6

  • Emission hommage sur Radio 6
  • 2001
  • Marianne Cassini

La générosité d’une femme de cœur et de caractère, une façon bien à elle de faire bouger le public, une bonne humeur naturelle et beaucoup de simplicité, une pointe d’accent américain, dans un français presque parfait, le rythme dans la peau, la musique dans le sang, Carole Fredericks était tout cela à la fois, et plus encore. Carole Fredericks était et demeure la marraine de Radio 6. Ecoutez un extrait de l’émission « Porte ouverte », réalisée en 2000, à l’occasion de l’ouverture de Radio 6 Boulogne :

L’animateur : Bonjour Carole.

Carole : Bonjour Stéphane, ça va ?

L’animateur : Toujours très heureux de vous accueillir [rire de Carole]. Et puis en plus vous venez pour une naissance. La naissance de Radio 6 Boulogne sur Mer. Alors vous voilà maintenant marraine de deux radios : à Calais et à Boulogne.

Carole : Quelle grande responsabilité, hein ? Je découvre plein de choses que souvent je ne découvre pas sur les autres radios, qui (sont) très bien. Moi je suis pour découvrir les nouvelles choses qui se passent, parce qu’il y a tellement de musiques qui (sont) créées ici en France et ailleurs et c’est bien qu’on ait un moyen d’entendre et bon bien sûr (il y a) des choses qui passent partout aussi mais Radio 6 est vraiment le champion pour ça et moi je suis très très contente de faire partie de l’équipe. »

Carole Fredericks est née un 5 juin à Springfield, dans le Massachusetts. Sa mère est chanteuse dans un Big band, son père est pianiste et parolier. Carole grandit dans une ambiance de musique, de blues et de gospel, autour de 7 frères et sœurs, tous artistes et musiciens. Son frère ainé, Taj Mahal, est l’un des plus grands bluesmen. Aretha Franklin et les Beatles sont les idoles de Carole et resteront ses plus fortes influences musicales. En 1972, Carole part vivre en Californie et commence à chanter dans différents groupes et en 1979, c’est le grand départ pour la France. Sans connaître un mot de Français, Carole débarque à Paris un matin de janvier. Un mois plus tard, elle rencontre Ann Calvet puis Yvonne Jones et elles forment ensemble un trio de choristes. Les séances vont se succéder avec les plus grands : Dalida, Johnny Halliday, Hugues Aufray, Carlos, Sylvie Vartan, Laurent Voulzy, Michel Berger, France Gall, Eddy Mitchell, jusqu’en 1986 où un après-midi, le téléphone sonne, c’est Jean-Jacques Goldman au bout du fil. Il nous raconte leur première rencontre :

« En fait, je l’ai vue la première fois, je crois à un concert de Michel Berger. Ensuite j’ai dû faire appel à elle pour faire une tournée d’été, pour faire un peu de gospel sur la chanson « America », parce qu’on avait fait le Zénith et on avait tout une chorale de gospel que je ne pouvais pas amener en tournée d’été parce qu’ils étaient rentrés à New York, et donc elle les a remplacés à elle toute seule. Au début elle était simple choriste et puis les liens se sont établis. »

En 1990, c’est l’aventure Fredericks Goldman Jones qui commence. Après plusieurs mois de séances et de répétitions en studio, l’album Fredericks Goldman Jones sort en décembre 91, couronné d’un disque de diamant et suivi d’une tournée mondiale jusqu’en 92. Comment l’idée est-elle née ? Réponse avec Jean-Jacques Goldman:

« C’était à la fin d’une très longue tournée, qui nous avait amenés en Afrique, en Asie, un peu partout dans le monde et on était dans un aéroport. Je leur ai dit ben voilà, j’ai commencé à travailler sur l’album prochain. Toutes les chansons qui viennent sont marquées par cette tournée donc ce sont des duos, des trios, est-ce que vous acceptez qu’on fasse un trio ensemble ?».

Jean-Jacques Goldman, une rencontre décisive pour Carole, génératrice de dizaines de projets, de rencontres, de véritables moments de bonheur. Mais aussi l’occasion de faire swinguer toute la France.

« Les gens disent tout le temps qu’on ne peut pas faire swinguer la France et tout ça. Ce n’est pas vrai. De plus en plus, il y a des groupes partout qui font swinguer la langue et c’est très bien. Donc si je fais un petit peu partie de ces gens qui font swinguer la langue, je suis contente ».

[Fredericks Goldman Jones - « Un, deux, trois »]

Après l’aventure Fredericks Goldman Jones, Carole commence en 1995, la préparation de son premier album solo, où elle se donne entièrement dans le registre qu’elle connaît le mieux : le blues et le gospel. « Springfield » sort en fin d’année 96, avec des textes signés Carole Fredericks, la participation de son frère Taj Mahal, des musiques de Gildas Arzel, Yvonne Jones, Jacques Veneruso, Jean-Jacques Goldman et des arrangements d’Erick Benzi. En 1999, malgré un planning très chargé, Carole trouve quand même le temps d’enregistrer un nouvel album, le deuxième et malheureusement le dernier, en Français, avec la participation de sa fidèle équipe, intitulé « Couleurs et parfums ». Carole Fredericks :

« J’ai pris énormément de plaisir d’enregistrer ce deuxième album solo, avec la famille. J’avais plein d’idées qui se sont vraiment réalisées et nous, on prend beaucoup de plaisir à les écouter et nous espérons que ça fait plaisir aux autres ».

Deux albums, dans lesquels nous retrouvons Jean-Jacques Goldman, un juste retour des choses. Carole Fredericks :

« Moi j’adore travailler avec les gens, des bons musiciens, des bons compositeurs, et Jean-Jacques fait partie des très très très bons ! [rire] Et j’ai eu beaucoup de chance qu’il m’écrive la chanson « Respire », qui est faite pour moi, et il a même fait les chœurs, donc j’étais très très contente et flattée ».

Deux albums solos qui n’ont rencontré qu’un succès confidentiel, mais selon Jean-Jacques Goldman, elle aurait probablement trouvé sa voie :

« Peut-être le fait d’avoir été choriste et puis d’aimer tant la musique, elle partait dans beaucoup de directions, que ce soit le R’N’B comme on dit, le reggae, le gospel, etc. C’était une artiste neuve finalement, donc elle aurait trouvé sa voie d’une façon ou d’une autre. Mais c’est le genre d’artiste, même quand ils n’ont pas de succès énorme, qui continue à faire leur métier parce que ce sont des professionnels. Il y a toujours des festivals de blues, des festivals de gospel où on fait appel à eux, tout simplement parce que ce sont des pros qui sont en dehors de la mode. Et puis un jour, elle aurait certainement trouvé le succès ».

Pour Jacques Veneruso, qui a également collaboré sur les deux albums, son style était cependant inimitable :

« Au niveau de son style, c’était unique parce qu’elle avait vraiment tout ce que j’aime au niveau de la musique black, de blues, de gospel, elle ne se forçait pas, ce n’était pas appris, c’était en elle évidemment. Pour ça, c’était un cadeau pour un compositeur et un beau challenge et c’est ce qui m’intéressait. D’ailleurs depuis, je n’ai plus l’occasion de trop toucher à ce domaine là parce que pour moi, c’était la seule représentante crédible de ce style là ».

Carole Fredericks adorait les gens, les artistes, et elle laissait une trace indélébile dans les cœurs. Patrick Fiori se souvient :

« Nous, on s’est rencontrés, c’était sur un duo, lors du tournoi de tennis de Rolland Garros, sur un plateau télé [NDLR : Emission « Tapis Rouge » diffusée le 27 mai 2000 sur France 2]. Jusque là, il n’y a rien de bizarre parce que c’est souvent ce qui peut arriver, et je me souviens qu’elle avait accepté de chanter une chanson que Jean-Jacques avait chanté qui s’appelait « Américain », et elle avait largement accepté de chanter avec moi cette chanson là et puis voilà. C’est ce jour-là que j’ai découvert cette jolie personne, cette femme incroyable, qui trainait avec elle comme ça, derrière elle, sur son passage, de la vanille, de l’amour, de la générosité. C’est vraiment quelqu’un de spontané. Quand elle voulait faire un truc elle le disait, quand elle ne voulait pas le faire, elle le disait. Elle savait vraiment parler aux gens, vraiment demander les choses, toujours avec beaucoup d’élégance et de sincérité ».

Carole : « Oui j’aime beaucoup partager avec les gens. Ecoute, j’avais fait ça pendant des années et des années avec Jean-Jacques et Mickaël, que ce soit en duo ou en trio ( ?). J’adore partager. Moi j’ai eu l’immense plaisir de monter sur scène et chanter en duo avec Michèle Torr (« Toute la ville en parle ») et récemment avec Jean-Jacques Milteau. J’aime ça, ça me fait vibrer, j’adore ça ».

[Carole Fredericks - « Respire »]

Parallèlement à sa carrière, Carole Fredericks s’est toujours beaucoup investie dans le milieu associatif. Elle donnait de la voix dans les concerts organisés pour les Restos du Cœur, mais aussi pour l’association « Les enfants de la terre ». Marie-Claire Noah :

« J’ai eu la chance de la connaître à travers Jean-Jacques Goldman, le jour où on organisait un concert pour notre association et il nous a demandé si on voulait que Carole vienne. Bien entendu, on a dit oui, et à partir de ce moment-là, elle est venue tous les ans, évidemment bénévolement, à tous nos concerts, avec une joie et un dynamisme extraordinaires. Donc sa disparition nous a tous énormément émus, surtout que c’était une semaine après être passée avec nous au Zénith de Paris. Elle faisait partie du groupe de chanteurs et de chanteuses qui, chaque année, à l’appel de Yannick, venait avec tout son cœur pour participer à la fête et comme toutes les recettes étaient données pour les enfants de nos maisons, elle savait très bien pourquoi elle était là. Parce que ce n’était pas un concert comme ça, bénévole. C’était un concert pour nous et elle nous le disait chaque fois ».

Autre bel investissement pour Carole Fredericks, les Restos du Cœur, avec la tournée des Enfoirés, qu’elle ne manquait jamais. Véronique Colucci :

«Elle avait toujours, toujours une attention. Je pense que les Restos du Cœur, c’est la chose qui la symbolisait ou qu’elle symbolisait le mieux. J’ai peut-être plus particulièrement le souvenir d’un concert qui a été donné au profit des Restos, à Ouveillan, qui est une petite ville dont les vignerons font une récolte spécifique au bénéfice des Restos. Jean-Jacques, à l’époque en formation avec Carole et Mickaël Jones, était venu chanter en plein air, dans la cour de la coopérative. Il tombait des cordes. C’était incroyable parce qu’ils ont fait tout le show, ils n’ont pas supprimé une seule chanson. A un moment, ils chantaient avec les palmes aux pieds, puisque c’était ce tour-là, et Carole dégoulinait d’eau. Elle avait sa robe qui lui collait au corps, et elle chantait avec une voix qui surpassait absolument tout. C’était somptueux parce qu’ils avaient été d’une totale générosité tous les trois. Et moi j’ai ce souvenir là ».

La générosité… Un seul mot pour caractériser Carole Fredericks, un mot qui revient dans tous les témoignages que nous avons recueillis, comme dans celui de Liane Foly, toutes deux complices sur la scène des Enfoirés et dans la vie de tous les jours. Liane Foly :

« Carole, c’était quelqu’un de très généreux, qui avait énormément d’humour. Moi, je m’entendais bien avec elle parce qu’on riait beaucoup ensemble. Elle me disait toujours [Liane Foly imite Carole Fredericks] : tu me fais rire, tu me fais rire Liane, tu me fais rire. Elle disait toujours ça. C’était le soleil Carole. C’était vraiment un soleil. D’abord par sa voix magique que j’adore. Ce qui nous reliait c’est qu’on était gourmande toutes les deux. Donc on s’entendait très bien pour faire des petites bêtises ! Et puis surtout l’humour, le rire. Le rire et la dérision. C’était quelqu’un qui ne se prenait pas du tout au sérieux, et qui avait compris beaucoup de choses sur la vie, sur les gens, et qui avait beaucoup de recul par rapport à ce qu’elle était et ce qu’elle faisait ».

C’est le 7 juin 2001, après un concert à Dakar au Sénégal, que Carole Fredericks rejoint le Paradis des artistes. Elle laisse orpheline toute sa famille, ou plutôt, ses familles :

« Quand je parle de ma famille, je parle de Jean-Jacques, de Mickaël, de Jacques Veneruso, d’Erick Benzi, Gildas Arzel, Yvonne Jones, Nicole Amovin et Christophe Battaglia. Ce sont des personnes avec qui j’ai tout le temps travaillé. Il y a aussi Alexis Grosbois, Pingouin. Il y a la famille quoi. Je dis toujours que c’est ma deuxième famille. Et j’ai même une troisième famille, mais c’est au Sénégal [rire] ».

En 2004, Lââm interprète avec Jean-Jacques Goldman, Mickaël Jones et Jacques Veneruso, « Ce qui nous manque de toi ». Un titre réalisé à la mémoire de Carole Fredericks. Le rire, la rigolade, c’est peut-être ce qui leur manque le plus aujourd’hui. Lââm :

« Elle rigolait tout le temps. Je garde toujours son sourire en tête. A chaque fois que je pense à Carole, je pense à son grand rire très communicatif. Je savais que quand je voyais Carole, j’allais rigoler. Que j’allais passer un bon moment. A chaque fois que je fais les Enfoirés, Carole me manque beaucoup. Je n’ai pas le même cœur qu’avant. Je le fais pour les gens qui sont dans le besoin, mais artistiquement parlant, c’est vrai qu’elle me manque beaucoup et humainement, ce n’est plus comme avant. Depuis qu’elle est partie, pour moi, ce n’est plus comme avant ».

[Lââm, Goldman, Jones, Veneruso - « Ce qui nous manque de toi »]

samedi 6 novembre 1999

Entretien avec Laurent Boyer

  • Entretien avec Laurent Boyer sur Europe 1
  • 06.11.1999
  • Marianne Cassini

[Il manque un bout de l’enregistrement, il commence en plein milieu d’une phrase]

… et des textes qui touchent tout de suite Jean-Jacques. On a eu un résultat qui était beau et on était très contents de ça.

Laurent Boyer : Et ça a marché. Ca a fait un énorme succès à la rentrée. Ca a été un très joli titre. Et alors entre-temps, Madame va faire un album. Et alors la surprise c’est que Carole Fredericks arrive avec un album en français. Alors là, on est tous assez surpris de t’entendre chanter français. Enfin, on sait que tu sais le faire…

Oui mais… Le premier album était gospel et blues. C’était pour m’annoncer et dire voilà, je vais essayer de faire mes premiers pas un peu toute seule mais jamais toute seule parce que la famille est toujours là. Et c’est très bien. Je tiens à ça parce que j’y arrive bien comme ça. Mais j’avais envie de chanter en français cette fois-ci parce que je me suis dit, mon public est français, ils sont là même s’ils ne comprennent pas ce que je dis, et cette fois-ci, je voulais qu’ils comprennent un peu.

Oui, ce que tu racontes, ce que tu évoques…

Ca me touche. Il y a beaucoup de gens qui disent : tu chantes en français et ça me touche énormément. J’ai un accent tordu bon ben j’ai un accent tordu. C’est comme ça !

Et ben oui mais ce n’est pas dérangeant je trouve !

[rire] En tout cas tu ne pourrais rien y faire !

Non mais on comprend bien. Tu n’as pas un accent tordu. Tu as une pointe d’accent. Ca donne, j’allais dire un côté exotique, mais ça donne quelque chose de surprenant et d’assez étonnant ! Tu avais ce choix d’avoir des textes en français. Alors justement, comment tu fais le choix sur les textes ? Jacques Veneruso est toujours là. C’est la bande…

Oui il y avait Jacques Veneruso. Et Christophe Battaglia qui a réalisé l’album et Jacques qui m’a mis les chansons avec aussi Yvonne Jones qui m’a écrit une chanson [« Mighty love »], Jean-Jacques aussi [« Respire »]. J’avais fait une reprise d’une chanson de Jean-Jacques, une de mes chansons préférées. Voilà, il y avait la famille qui amenait les chansons. Et Mickaël Jones [« Ecope »]. J’ai eu ma chanson de Micky et je suis très contente ! Je n’avais pas dirigé les gens pour les textes, mais il y en avait vraiment dans lesquels je me retrouvais dedans et j’étais contente.

Alors il y a un texte qui s’appelle « Vain », qui est signé justement Carole Fredericks.

Oui, c’est en anglais. Mais bon moi je n’écris que des textes en anglais. Il y a des gens qui sont beaucoup plus futés que moi en français ! J’en ai fait une, mais il y a neuf chansons qui sont en français et avec des textes qui touchent et qui m’ont touchée. On a pris notre pied en faisant cet album et on espère que ça va plaire au public parce que nous, on en est contents.

Oui, c’est le premier truc : il faut se faire plaisir d’abord et après ça passe tout seul.

Ca passe tout seul mais on l’espère. Espérons…

[Pause musicale]

Carole Fredericks est avec nous cet après-midi, elle passe une heure sur Europe 1, pour évoquer ce tout nouvel album qui vient d’arriver, puis une tournée. Elle va se balader un petit peu… Enfin elle est là, elle chante en français, « Couleurs et parfums ».

Tu disais tout à l’heure : j’ai repris une chanson de Goldman, « Au bout de mes rêves ». Une chanson écrite par Jean-Jacques, qui est la chanson avec les Poetic Lover… Le bout de ton rêve, c’est quoi ? Ca serait quoi d’aller au bout de ton rêve ?

Ouf !

Est-ce que tu en as ? Lesquels sont-ils tes rêves ?

J’ai beaucoup de rêves. Je ne vais pas citer certains parce que c’est trop personnel, mais un de mes rêves c’est d’avoir la chance de continuer de faire mon métier, d’avoir des gens qui viennent me voir et m’écouter, d’avoir toujours une voix, avec une bonne santé. Ca c’est un rêve parce que déjà de faire ce que je fais, c’est quand même incroyable. Parfois je me dis que ce n’est pas vrai, ce n’est pas moi ! [rire]. Je vis mon rêve, presque tous les jours mais j’aimerais bien que ça continue. Et comme je dis, même si c’est dans une petite pièce avec 50 personnes ou avec 50 000 personnes, que les gens aient toujours envie de m’écouter et m’apprécient.

Et toi, avoir envie de chanter, je présume que ça c’est une passion !

C’est tout ce que je sais bien faire. [rire de Laurent Boyer]. C’est ce qui me rend heureuse, totalement. Et surtout lorsque je suis sur scène, c’est la seule chose qui efface tout. C’est tellement fort cette drogue de la scène parce que quand on y monte, on oublie tout. On donne. La réalité est là mais pendant deux heures, je suis ailleurs, avec les gens. C’est incroyable…

Tu es ailleurs, tu es transportée…

Pas complètement…

Carrément… Ca t’a pris à quel âge ? C’était la famille, je l’ai évoqué souvent avec toi mais quand tu t’es rendue compte que tu avais une voix incroyable…

Je savais, depuis que j’avais 5 ans en maternelle, que je voulais être chanteuse. Je chantais tout le temps. Je me souviens qu’un matin, il pleuvait et on ne pouvait pas sortir dans la cour pour jouer. Et moi j’étais montée sur le petit bureau et j’ai chanté ! {rire]

Ah, tu faisais ta vedette ! Tu faisais ta vedette devant les copains ! A ton avis justement, pour donner une indication à des gens qui ont des enfants en bas âge. Quand on a envie de chanter comme ça très tôt, qu’on a du talent, qu’on a repéré cette voix… Parce que c’est un don !

Carole Fredericks : Ha bah ça c’est un don oui…

Ca vient, on ne sait pas pourquoi, mais ça se travaille comme tous les dons. Est-ce qu’il faut laisser aller et pousser les enfants à chanter ? Leur donner la liberté de chanter ?

Surtout s’ils en ont envie. Même si ce n’est pas avec un but professionnel. C’est un équilibre dans la vie. C’est la balance dans la vie. C’est quelque chose de créatif. Si c’est le piano ou la peinture. Si c’est quelque chose de créatif, c’est bien. Il ne faut pas empêcher les gens d’assouvir leur passion. Il ne faut pas…

hum… il faut les laisser aller… C’est le conseil que tu donnerais. Comme quoi ça marche et ça porte parce que ça fait un petit moment que Mademoiselle chante justement [rire de Carole Fredericks]. Enfin, elle, c’est autre chose, parce qu’elle est issue d’une famille d’artistes. Ils chantent tous chez toi ?

Oui, il y a des professionnels, des mi-professionnels et d’autres qui ne le sont pas du tout mais ils chantent quand même. J’ai un petit frère qui est batteur-chanteur, un grand frère qui est chanteur de blues, musicien très connu, ma sœur qui est chanteuse-actrice, un autre frère qui est peintre-sculpteur-chanteur-acteur, metteur en scène-danseur…

Dans cette famille, je le dis à chaque fois, mais sachez qu’il y en a qui sont extrêmement connus. Taj Mahal, c’est un des frères de Carole Fredericks, le frère ainé est une vedette internationale. Enfin, c’est un monument. Tous tes frères et sœurs sont artistes, mais est-ce que tes parents l’étaient ?

Maman était chanteuse. Elle chantait dans un Big Band. Elle chantait à l’époque dans un Big Band avec le fils de Dug Hallyton. Papa était pianiste et parolier. Et ils ont arrêté pour élever leurs enfants, parce que Taj Mahal est le seul à être né à Harlem. Taj Mahal qui s’appelle Henri mais bon ! [rire de Carole et Laurent]. Il est né à Harlem et après mes parents ont abandonné leur carrière. Maman était diplômée pour être institutrice et professeur et papa a pris un autre travail dans une usine. Ils ont déménagé à Springfield. On est tous nés là-bas.

Carole Fredericks est avec vous cet après-midi sur Europe 1. J’essaie de repasser un petit peu le parcours exceptionnel de cette Américaine, qui est venue s’installer chez nous, qui y reste, qui se sent bien ici, et qui fait même l’effort cette fois-ci, de faire un album en français. Voilà. Et ça, c’est pas mal…

Carole Fredericks est avec nous cet après-midi sur Europe 1, en raison de la sortie de son nouvel album. Je vous le disais tout à l’heure, elle l’a fait en français, « Couleurs et parfums ».

Moi je trouve ca étonnant. Il y a 20 ans que tu es ici Carole, tu es enracinée dans cette culture française, tu as eu un succès énorme. On parlait du trio tout à l’heure, à la rentrée, tu étais n° 1 avec ton titre, et les Poetic Lover qui sont venus chanter avec toi. Je trouve ça étonnant que tu fasses en plus cet effort… Dans cet hégémonie de la culture américaine, ce côté planétaire de la culture américaine, toi tu vas dans le contresens et tu dis : je vais chanter en français ! Le français swing moins que l’Américain et je dis ça à une Américaine, dont c’est la langue maternelle !

Il y a 20 ans, on pouvait dire ça. Mais quand on écoute Native, Lââm, Larusso, des rappeurs comme MC Solaar, Passi, Menélik, les Tribal Jam des gens qui arrivent à faire swinguer la langue !

Ha les petits bordelais, ils sont formidables…

Ils y arrivent, il y a 20 ans c’est vrai, c’était lourd. Dans les chansons françaises, ce sont les textes qui sont très importants. Il faut comprendre les textes. Là, ils arrivent à faire swinguer et comprendre les textes. Et c’est très important. Je sais que quand j’étais en train d’enregistrer mon disque, je voulais me concentrer sur la prononciation. Et après j’ai dit : voilà maintenant ça va, oublie tout, mets le feeling.

Le feeling, c’est plus US, c’est plus américain ? Mettre le feeling sur la musique… Cette façon de chanter que vous avez… Tu es en train de me dire en fait que, parfois, les chansons américaines sont un petit peu légères dans le texte ? Heureusement qu’on ne comprend pas ?

Non mais ce n’est pas ce que je dis ! Il y a des textes qui sont très forts par des gens qui écrivent très bien. Il y a James Taylor. Il y a des gens qui écrivent des textes à tomber par terre. Mais, dans la langue anglaise, on peut dire « I love you » pendant 30 minutes et le faire swinguer de toutes sortes de façon ! Mais on ne peut pas dire « Je t’aime » pendant 30 minutes ! Il faut qu’on dise quelque chose. Il faut qu’il y ait une suite. Moi, j’essaie de le faire à ma façon. Il faut quand même respecter certaines choses. On ne peut pas lâcher la liaison parce que ça ne sonne pas ! [rire de Laurent].

Oui, il faut apprendre à la prononcer !

Exactement.

Mais tu as dû refaire encore un travail différent puisque tu avais cette façon de swinguer [Laurent claque des doigts], d’envoyer les mots, avec cette phonétique américaine, et là parfois, comme tu dis, tu peux être embêtée par une liaison, qu’il faut assurer en français. Couleurs et parfums par exemple. Couleurs prend un « s » donc on dit couleurs « zé » parfums…

Oui, mais en même temps, quand j’ai enregistré les voix définitives, je ne chantais pas plus que trois fois. Parce que je me suis dis que si je ne l’ai pas en trois fois, je ne vais pas l’avoir. Je laisse tomber et je reviens un autre jour. Parce que tout ce qui est spontanée, tout ce qui est feeling, ça vient, « boum ». Moi je suis comme ça enfin je parle pour moi. Tout le monde a sa recette. Parce qu’au bout de vingt cinq fois, tu ne vas pas l’avoir. C’est mon cas.

C’est ce qu’on disait. Une chanteuse de scène ou de feeling tout à l’heure. Voilà c’est ça. C’est qu’il faut faire des prises et il faut qu’elle le sente…

Et souvent, il y a certaines chansons, « voix déf » qui était la voix que je faisais pour les maquettes.

Ha d’accord. C’est ce qu’on appelle la voix définitive, la voix du disque. C’est une chanson qu’elle avait faite tout au début, pour placer la voix et voir l’ambiance de la chanson…

Et il y avait certaines chansons, on a dit « Jacques a dit » voilà on a. J’avais rechanté mais on avait dit : on a parce que c’était là.

Alors, ce travail… Je vois qu’il y a Veneruso sur l’album. Il y a la clique de Jean-Jacques Goldman, qui sont tous tes potes, tous ceux qui sont là depuis le début.

C’est la famille…

Oui. Tu bosses en famille… Jean-Jacques t’a dit « Je veux faire des chansons » ? Je vois qu’il y a « Respire »… Il y a du Goldman… Ca sent le Goldman… Il y a même Yvonne Jones, une copine, qui a signé un titre, qui a même fait des textes, qui fait un duo avec toi et qui a fait un texte sur une autre chanson américaine… Comment tu as travaillé ? Tu as dis : « je veux faire un album, je veux des textes en français », tu as appelé Jean-Jacques, Yvonne Jones, Veneruso…

On en parle pendant un déjeuner, un dîner ou au téléphone. Et j’ai dit « tiens, si tu fais quelque chose, si tu as une idée ». Jacques [Veneruso] m’appelle tout le temps… Depuis trois ans, je tourne avec mes musiciens, « Les Dragons », et mes deux anges, Yvonne [Jones] et Maria. Jacques venait souvent pour voir les progrès que je faisais. Il était toujours là, il avait toujours des idées. Je lui ai dit : « montre-moi ce que tu as ». Il avait des chansons qui étaient tellement taillées pour moi ! J’ai dit : « Ok ! C’était super ! ». Mais c’était facile d’avoir des chansons, parce que eux savaient ce qu’il fallait me montrer.

C’est Carole Fredericks qui est avec vous cet après-midi.

[Pause musicale]

Carole Fredericks est avec vous cet après-midi sur Europe 1. Ca me fait bien plaisir. En raison de la sortie de ce tout nouvel album, « Couleurs et parfums ».

Carole, je t’ai demandé de choisir un invité, ou une invitée. J’aimerais que tu nous présentes la personne que tu as choisie en toute liberté.

Carole Fredericks : Bon, la personne que j’ai choisie s’appelle Nicole Amovin. C’est l’une de mes plus grandes amies, que je connais depuis 1986. Une belle Sénégalaise, qui est comme ma sœur, comme ma petite sœur. On a eu beaucoup de parcours ensemble et ça continue. Je chante même avec elle notre chanson préférée sur mon album et je suis très fière de l’avoir sur l’antenne aujourd’hui.

Alors, Nicole, [Laurent Boyer dit un mot en wolof]

[Discussion en wolof]

Salut Nicole, bienvenue

Nicole Amovin : Salut.

Vous avez une chanson toutes les deux…

Nicole Amovin : Oui…

« Kaai Djallema »… Et vous l’avez chantée en wolof en plus…

Nicole Amovin : Oui, moitié wolof, moitié en anglais.

Et ça lui donne une belle couleur à cette chanson. C’est assez surprenant. Vous vous connaissez depuis combien de temps ?

Nicole Amovin : halàlà…

Carole Fredericks : Depuis 86, ça fait 12 ans.

NA ; Oui…

Et vous vous êtes connues en chantant ensemble ?

Nicole Amovin : Non, par l’intermédiaire d’une amie qui fréquentait la même église qu’elle. L’église américaine…

Carole Fredericks : 65, quai d’Orsay…

Nicole Amovin : Voilà… C’est une amie anglaise, qui me l’a fait rencontrer, tout à fait par hasard. Depuis cette période là, ça n’a pas arrêté. On a partagé des tas de choses, comme elle le dit.

Mais tu chantes aussi toi, Nicole.

Nicole Amovin : Oui, tout à fait.

Mais le fait de chanter avec Carole Fredericks, est-ce que tu suivais sa carrière ? Est-ce que tu étais proche d’elle ?

Nicole Amovin : Ben, depuis 86 oui [rire]

Carole Fredericks : Oh oui oui ! On a vécu ensemble pendant 8 ans !

Nicole Amovin : Oui, on a habité ensemble, sous le même toit pendant 8 ans. J’étais dans les valises de Carole quand elle était en tournée, qu’elle allait bosser, qu’elle allait en studio… A l’époque, je terminais mes études ou j’en reprenais, selon ma disponibilité. Donc voilà, j’étais toujours dans les valises de Carole !

Est-ce que tu l’as emmenée un petit peu à Dakar ?

Nicole Amovin : Un petit peu ? Beaucoup ! [rire de Nicole et Laurent]. Elle est colonisée maintenant !

Carole Fredericks : Moi je fais partie de sa famille, je suis la grande fille.

Nicole Amovin : C’est pour ça que tu m’appelais « Diryenké ». Ce sont les belles femmes sénégalaises…

Carole Fredericks : Rondes !!!

Nicole Amovin : Bien en chaires…

Carole Fredericks : Voilà !!!

Nicole Amovin : remplies de bijoux, très belles et tout…

Carole Fredericks : Vas-y ma chérie, j’envoie le chèque [rire]

Nicole Amovin : … qui dirige d’ailleurs le Sénégal parce que, entre guillemets, les hommes du Sénégal [Mot en wolof] comme on dit…

Oui oui, ce sont les femmes qui dirigent un peu l’histoire, qui tiennent un peu la famille, heureusement.

Carole Fredericks : J’ai une petite chose à dire Nicole, sur ses premières séances de chœurs. C’était sur « A nos actes manqués ».

Nicole Amovin : ha oui, du temps de Fredericks Goldman Jones !

Carole Fredericks : Ah oui !!! Sa première démarche dans le métier était sur ce disque là. Elle avait une voix tipiquement sénégalaise. Haute perchée, et qui passait à travers tout ! On disait : « Tu vas de l’autre côté de la pièce s’il te plait ! » Mais c’était super !

Nicole Amovin : On m’a dit : « Nicole, tu pourrais te mettre un tout petit peu derrière les autres ? » Alors je me suis dit : « Mince alors, on me demande de participer, de faire les chœurs et on me demande d’aller derrière ! » [rire de Carole et Laurent]. J’étais profondément vexée. Je faisais ma tête des mauvais jours. Du coup, Carole m’a dit : « Ecoute, ne le prends pas mal, c’est parce que ta voix porte tu comprends ? » Je me suis dit : « Mais c’est le monde à l’envers. On me demande de faire des chœurs et on me demande d’être derrière les autres ! » [rire de Carole et Laurent]. Mais bon, avec le temps, j’ai appris quand même beaucoup de choses, grâce à elle et bien d’autres. Des petits copains, des potes qui ont des petits groupes et puis voilà, depuis ce temps, je n’ai pas arrêté. Mais j’ai énormément appris, grâce à elle.

On dit d’ailleurs que la musique sénégalaise essaie de s’implanter en France par diverses manières, notamment le RAP sénégalais.

Nicole Amovin : Ah, oui…

Il y en a pas mal. Moi j’avais vu ça au CCF et j’avais vu des groupes là-bas. Ils sont assez surprenants. Ils essaient de monter, de faire des trucs…

Nicole Amovin : Il y en a quelques uns, mais je pense que le rap, c’est comme partout. C’est le biais que les jeunes ont trouvé pour s’exprimer. Le Sénégal, comme tous les pays en voie de développement, ou pays pauvres, le chômage existe, encore pire qu’ailleurs. Le RAP a une grande place.

Carole Fredericks : C’est bien fait en plus…

Nicole Amovin : Oui oui…

Dis moi Nicole, de qui est venue cette idée ? Est-ce que c’est Carole Fredericks qui t’a proposé de venir faire ce titre de Cyndi Lauper avec elle, de réécrire les paroles, mélanger le wolof et l’anglais ?

Nicole Amovin : Mais en fait, tu sais, Carole dit que notre histoire a démarré depuis les années 86. Et puis dans les années 93, un jour ça lui a pris et elle m’a dit : « Nic, écoute, il faudrait qu’on se trouve une chanson à toutes les deux, qu’on pourrait interpréter, qu’on pourrait chanter ». Mais l’idée ne m’avait pas germée de le sortir, de faire un truc avec. C’était juste pour chanter, pour le fun. Parce que bien sûr, Carole, tout le monde l’a connait. Elle chante quand elle se réveille, quand elle dort elle chante [rire de Laurent], quand elle est dans la salle de bain elle chante. Moi je l’ai toujours vue comme ça.

Oui, tu as vécu avec elle, donc tu peux confirmer qu’elle chante tout le temps.

Nicole Amovin : Elle chante tout le temps…

Merci Nicole d’avoir été avec nous !

Nicole Amovin : C’est moi. Je vous fais un gros smack à tous les deux [rire de Carole]

Bon, je t’embrasse très fort.

[Carole et Nicole parlent en wolof]

Tu parles le wolof un peu ou pas ?

Carole Fredericks : Je parle un peu. Je parle plutôt des mots un peu « hum hum » comme tout le monde ! Non, mais je sais dire bonjour, au revoir, merci… Mais parfois elle me parle et je comprends. Et moi je me dis : mais pourquoi je comprends ? Elle me pose des questions, je réponds en français et je me rends compte après qu’elle m’a parlé en wolof. Mais bon…

[Pause musicale]

Carole Fredericks, cet après-midi, sur Europe 1, qui s’exprime en français, qui nous fait un album en français, qui nous fait partager son intimité, son enthousiasme, sur son amie, Nicole Amovin, qu’on vient d’écouter à l’instant, et puis toute sa bande, la bande de Goldman, Veneruso. Tous ses potes quoi, ceux qui sont avec elle depuis le début. C’est assez surprenant. Nicole parlait tout à l’heure de ton église américaine. Tu vas, de temps en temps, chanter à l’église ? Est-ce qu’ils te demandent de faire les chœurs ?

Je n’ai jamais chanté dans une église américaine sauf j’y vais pour les messes, mais je n’ai jamais chanté dans une chorale, parce qu’avec mon emploi du temps…

Donc tu le ferais. C’est un problème d’emploi du temps mais tu le ferais facilement je présume.

Ce n’est pas le genre de chansons que j’aime bien chanter chaque dimanche [Carole chante, puis Carole et Laurent rient]. C’est bien une fois pour dire merci mais…

Comment te vit la communauté américaine qui est installée en France ? Tu croises des Américains qui vivent ici également comme toi. Comment ils vivent ton succès ? Est-ce qu’ils t’en parlent ?

Je ne sais pas. C’est drôle, je n’ai pas beaucoup d’amis américains.

Ah bon ?

J’ai beaucoup de connaissances. Je n’ai pas quitté chez moi qui rester dans une communauté américaine. Mais bon, j’ai Yvonne Jones, Jacky Simon qui est journaliste. Je peux te dire que sur toute la communauté black, ici, quand je croise les gens, ils me disent tout le temps : « on est fiers de toi ». Et ça me fait beaucoup de choses, parce qu’ils disent qu’on ne voit pas 35 000 blacks à la télé, on n’entend pas des choses dégeulasses sur toi, tu nous fais beaucoup plaisir. Ce n’est pas la communauté américaine, ce sont les blacks que je croise tout le temps et qui me disent tout le temps qu’ils sont fiers de moi, qu’ils sont contents, et ça me rend fière aussi. Je ne suis pas là pour faire la bise à tout le monde mais quand même, ça me touche quand il y a des gens qui disent : tu es notre fierté. Ca c’est quelque chose d’extraordinaire parce que je n’imaginais pas être la fierté de quelqu’un. Mais bon, c’est quelque chose…

Je comprends que ça te fasse plaisir, c’est bien, c’est une belle reconnaissance.

Mais à l’église c’est drôle, parce que souvent, il y a des gens qui me disent : « C’est vous qui passez à la télé ? ». Je leur dis oui. « Mais qu’est-ce que vous faites à l’église ? ». Je leur dis « je fais des prières comme vous ! » [rire]

[rire] Oui c’est pareil… Oui je suis comme tout le monde…

Bah oui !

Est-ce que tu as envoyé cet album-là, « Couleurs et parfums », à ta famille, Springfield, Massachusetts ? Est-ce que Taj Mahal, ton frère, a écouté cet album en français ? Est-ce que tu as déjà eu des feedback de ce pays ?

Pas encore, parce que je n’ai pas encore eu l’occasion de l’envoyer [Carole se racle la gorge]. Il faut que je le fasse parce qu’ils me le réclament. Justement, il y a mon neveu qui est ici, que je n’ai pas encore vu. Il est bassiste et il est avec une chanteuse. Il est en tournée quelque part et j’espère le croiser pour lui donner [rire]. Mais je vais l’envoyer…

Est-ce que tu te verrais Carole, aller chanter (tu as chanté en Californie. J’ai parlé de ton parcours fréquemment, Massachusetts, Californie, tu chantais là-bas et tu es venue en France il y a une vingtaine d’années), faire le tour des universités aux Etats-Unis avec ton album, ou essayer d’aller faire un tour en Amérique ? Non, tu t’en fous ?

Si ça se présente, ça peut être intéressant, mais ce n’est pas dans mes aspirations.

J’adore ça ! Toutes les chanteuses françaises avec qui je bavarde veulent toutes faire une carrière aux Etats-Unis, je veux faire un album en Américain, je veux aller chanter là-bas, et elle, elle s’en fout [rire]

Non mais parce que moi, je suis ici. Si j’ai la France et les pays francophones, parce qu’il y a des pays francophones partout…

Oui, on parlait du Sénégal tout à l’heure…

Oui. Déjà, si j’ai juste la France, je serai comblée [rire]. Donc, les pays francophones, ce serait la cerise sur le gâteau ! Mais bon, je ne dis pas que je suis contre d’aller aux Etats-Unis, mais je me suis dis d’abord que je veux séduire le pays qui m’a accueillie.

He bien… tu séduis ! [rire]

Merci ! [rire]

Je te confirme ! C’est vrai que c’est assez surprenant car tout le monde veut aller chanter en Amérique. Cela dit, tu as une double voix. Tu chantes français ou anglais, tu peux aller effectivement dans les pays francophones ou dans n’importe quel pays, parlant américain…

C’est vrai, aucune force ne me poussait de retourner là-bas et à faire cela. Mais comme je dis, si j’avais vraiment une bonne occasion, je ne vais pas dire non. Mais ce n’est pas quelque chose qui…

Obsédant…

Les choses qui sont importantes pour moi ce sont les gens ici en France et les francophones. Ils m’apprécient et achètent mes disques. Et voilà, je continue c’est tout parce que c’est ici que je vis, que j’habite.

He ben voilà, c’est une leçon de plus.

Elle est avec nous Carole Fredericks. On la retrouve dans un instant.

[publicité]

Carole Fredericks est cet après-midi sur Europe 1. « Couleurs et parfums », c’est le titre de son tout nouvel album, avec la bande de Goldman, avec ses potes, avec ses copines, Yvonne Jones, Nicole Amovin, Mickaël Jones, tous les copains sont sur cet album…

Jacques…

Jacques Veneruso… Tout ce qu’elle a fait et qui lui ressemble bien. Vous ne pouvez pas vous gourer, c’est elle. Il y a la main sur la photo, qui est étendue et comme le disait Nicole [Amovin] tout à l’heure, elle est toujours plein de bijoux, plein de bagues... Aujourd’hui elle a les cheveux bleus, les ongles bleus… C’est très outrancier ! Il y a les colliers, de l’ambre, il y a tout quoi… Ha c’est un personnage Carole Fredericks [rire de Carole]. Carole, en revanche, tu es retournée aux Etats-Unis pour faire ton clip. J’ai vu ça quelque part, enfin j’ai lu un petit dossier. Tu serais allé en Californie, enfin à quelques kilomètres d’une ancienne ligne de chemin de fer…

Oui oui oui, Fillmore…

Voilà, Fillmore… Alors ça rappelle les concerts du Fillmore East et du Fillmore West et ainsi de suite.

Quand on était petits, à Springfield, mes frères avaient toujours des trains électriques. Il y avait des petits villages qui étaient tellement jolis et colorés. Fillmore est exactement comme ces petits villages [rire]. Et c’était vraiment quelque chose.

C’est à 80 kilomètres de Los Angeles, c’est ça ?

Oui oui, c’était à une heure de Los Angeles et on était debout tous les jours à 5 heures, mais c’était super. Je l’ai fait avec le réalisateur, qui avait fait un autre titre pour moi, « Change ». C’est quelqu’un qui a de la créativité et un savoir-faire… Il est tellement zen… J’adore… Je suis très fidèle. Je n’ai envie de faire des clips avec personne d’autre. Sauf lui.

Assez fidèle. Il y a toujours les mêmes…

Oui parce que quand je trouve les choses qui me bottent, je ne vois pas pourquoi je changerais.

Tu as besoin de partager avec les gens…

Oui, je suis bien avec ces gens-là. Je ne vois pas pourquoi je devrais changer. Il peut toujours y avoir des nouveaux, mais après, ils font partie de la famille [rire]. Mais avec lui, c’était super, vraiment. En plus, on est allés là-bas parce qu’on voulait un clip où il y avait du beau temps, qui va passer pendant l’été. Ici, on n’était pas sûrs. Parce que je voulais faire dans la forêt française, mais bon, il m’a dit « vas-y » mais… [rire]

Quel feeling tu as quand tu retournes aux Etats-Unis, par exemple là un petit moment à Los Angeles ? Ca te fait quoi ? Sympa ?

Oui ça fait vraiment drôle. Et Pingouin peut…

Ah Pingouin est partout : c’est l’homme de confiance, le photographe, le manager… Il s’occupe de tout.

Oui il fait tout le pauvre. Il est…

Il est extrêmement sympa. C’est-à-dire que ça va avec l’image de Carole Fredericks : qui se ressemble, s’assemble. Et c’est bien agréable. Alors Pingoun te disait quoi ?

Il veut me rassurer. Dès que j’étais là, j’étais excitée comme une petite fille : « Oh, je suis chez moi ! Ah, j’ai mon passeport ! », « Ah, vous êtes les étrangers ? » Mais c’était drôle. C’était juste pendant 5 minutes. Après on fait notre shopping vite fait, toutes les saloperies qu’on ne peut pas avoir ici. C’était très bien. C’était trois jours plein de bonnes choses. J’étais heureuse. On a tourné un bon clip. On a eu deux jours de beau temps et le jour où on devait partir, il pleuvait des cordes. J’ai dit : « Oh j’ai eu du bol ! »

Est-ce que tu serais capable de revivre aux Etats-Unis ? Oui probablement mais…

Non.

Non ?

Non.

Tiens…

Non. Visiter oui, vivre non. Je me suis posé la question plusieurs fois, si j’étais obligée de retourner vivre aux Etats-Unis, dans quel coin je pourrais aller. Et [Carole souffle]. Visiter oui mais y vivre non. Après vingt ans, c’est comme par osmose. Il y a des choses qui déteignent sur vous. On peut dire c’est l’Europe, c’est la France… Je ne sais pas, peut-être que je vais aller dans un autre pays européens, je ne sais pas. Mais je ne me vois pas…

Ca ne t’intéresse plus quoi.

Non. C’est mon pays. Je ne renie pas mon pays mais… Non…

Merci beaucoup Carole d’être passée cet après-midi sur Europe 1…

Je vous en prie, Laurent.

Tu es la bienvenue, sache-le et je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais c’est aussi une des seules Américaines que je connaisse de souche qui permet, quand elle bavarde avec nous, ne nous envoie pas des mots en Anglais dans la conversation. Et elle fait l’effort de parler tout le temps en français, le plus souvent possible. Merci mille fois. « Couleurs et parfums », elle fait l’effort de faire cet album en français, pour nous. Ecoutez-le. C’est du Carole Fredericks pure souche et c’est tout ce qu’elle aime qu’elle a mis dedans, son gros cœur comme ça.

Oh merci ! [rire]

lundi 1 novembre 1999

Entretien avec Daniel Schick

  • Entretien avec Daniel Schick
  • Europe 1
  • 01 novembre 1999

[Carole Fredericks chante un texte écrit par Daniel Schick « C’est la fin de la semaine / Dans la nuit, je me promène / Je t’attends près de la fontaine / Et pourtant… / Je sais ta haine / Oh Baby / Love Me / Oh feel so lonely / Lonely »]

Daniel Schick : Voilà. C’était pour vous prouver qu’à partir d’un texte nul [rire de Carole], le talent rend un texte absolument génial !

[Jingle de l’émission]

Bonsoir, merci de choisir d’écouter Europe 1. Vous avez compris qu’elle a de la voix, du talent, du tempérament, de l’imagination et le sens de la liberté. Elle s’appelle Carole Fredericks [NDLR : prononcé à l’américaine], vous l’avez compris, elle est donc danseuse étoile [rire de Carole]… chanteuse étoile.

Il y a quelques mois, un album qui s’appelle « Couleurs et parfums… » est sorti mais aussi un single « Respire ». Il va falloir me donner des cours de respiration d’ailleurs [rire de Carole].

…/…

Bonsoir, Carole Fredericks

Bonsoir. Ca va ?

Ca va mieux. Disons que j’avais peur que mon texte soit nul et puis en fait, je m’aperçois qu’avec le talent, un texte médiocre devient génial !

Ecoutez, le texte était toujours nul [rire]. Mais c’est vrai, c’est difficile de donner un texte comme ça et de l’interpréter tout de suite. Mais toi, tu étais nul hein.

Pourquoi ? Où est mon problème ? Quel est mon problème ? C’est la respiration ?

Ce n’est pas la question de respiration mais d’interprétation.

Ha… Non mais moi je veux bien. Par exemple [Daniel chante « Oh love my baby »]. Qu’est-ce qui ne va pas ?

[rire]. Bon « ça » c’était mieux, mais un peu plus de voix ! Un peu plus de coffre.

Le ventre ?

Non pas le ventre : le diaphragme.

Le diaphragme ?

Voilà… [soupir]

[Daniel chante « Oh love my baby »]

Heu…

Non, ce n’est pas le diaphragme.

Il y a des gens qui sont doués et d’autres qui ne le sont pas mais tu es très doué pour la radio.

Mais peut-être pas pour la chanson.

Heu… Peut-être pas !

Oui, évidemment : moi, je n’ai pas eu comme vous, un tonton, une tata, une maman et un papa dans la musique. Vous n’avez aucun mérite d’être l’une des plus grandes voix de ce siècle [rire de Carole]. Sachant d’où vous venez !

Ce n’est pas vrai en plus !

Comment ce n’est pas vrai ?! Vous voulez que je vous rappelle ? Votre mère était chanteuse dans un big band, votre père était pianiste et parolier, et toute la famille était plus ou moins dans la musique.

Ben oui…

Donc vous n’avez aucun mérite. Et en plus vous venez des Etats-Unis où on chante dans la rue [rire de Carole].

C’est injuste. Mais bon, c’est un petit don du ciel.

Du ciel ?

Oui

Ah ! Vous êtes un don du ciel, vous ?

Oui. Je pense que nous avons tous un don du ciel.

Pas moi pour la chanson.

Oui mais pour quelque chose d’autre peut-être !

Vous considérez que vous êtes un cadeau que Dieu a fait aux hommes ?

Moi ?

Oui.

Bien sûr que oui !

Ah ! évidemment…

Ha ! Ho !

L’humilité, vous connaissez ?

[Eclat de rire]

Ca veut dire donc « non » en anglais, c’est ça ?

Devant toi non [rire]

Carole Fredericks : devant moi, une femme, avec comme d’habitude, beaucoup de bijoux. Je peux voir ? Voilà, ça, ça n’a pas changé. Enormément de vernis à ongles. Cette fois-ci c’est bleu ciel, bleu Roy, un peu. Et puis il y a toujours des cheveux, comme cela, colorés. Tout ça, c’est pour cacher qui ?

Rien, je suis toujours comme ça. Même petite fille, j’adorais porter des bijoux et des couleurs. Mais ce n’est pas pour cacher quelque chose. Je suis une fille, une femme, très coquette comme plein de femmes et bon voilà !

[Silence]

Je n’accepte pas la réponse mais je dois faire avec… [rire de Carole].

Je ne cache rien. Je ne me trouve pas différente des autres femmes qui adorent s’habiller, se maquiller, porter des bijoux. Le côté « fou-fou » c’est peut-être parce que je suis gémeaux, je ne sais pas. Mais voilà, j’ai toujours été ainsi.

Mais vous dites : je ne cache rien. Quand vous chantez, vous vous mettez encore plus à nue que quand vous parlez là, ou pour vous, il n’y a pas de différence ? Vous êtes autant exhibitionniste dans la rue que sur scène [rire]

Je ne me trouve pas exhibitionniste du tout ! C’est drôle ! Il est drôle, ce Daniel !

Il fait ce qu’il peut, en face de vous !

Mais non ! Quand je monte sur scène, il y a une espèce de magie qui me prend et c’est autre chose. Vraiment la scène, j’adore parce que je vis différemment. Je fais des choses sur scène que je ne fais pas autrement. Mais là, je suis peut-être exhibitionniste. C’est drôle parce que souvent, les gens qui sont timides, quand ils montent sur scène, c’est autre chose. Et quand ils descendent de la scène, ils redeviennent timides. Je ne suis pas tout à fait timide, mais être exhibitionniste, je ne crois pas…

Non plus. Est-ce que vous chantez l’amour pour trouver l’amour ? Et est-ce que cela a marché ?

L’amour pour trouver l’amour…

Chanter l’amour…

[hésitation] Je pense que tout le monde aimerait trouver l’amour.

Oui mais on s’en fout de tout le monde ! [rire de Carole] Vous voyez ? Vous fuyez déjà…

Non, pas du tout ! Bien sûr, j’adore les chansons d’amour et bon, si cela amène à un amour, pourquoi pas ?

Mais ça s’est produit déjà ? Ou on rêve ça puis on s’aperçoit très vite que ça ne marche pas. Qu’il ne suffit pas de chanter l’amour sur scène pour qu’ensuite un homme vienne vous dire je t’aime.

Il y a des gens qui me disent cela tout le temps !

Vous y croyez ?

Non [rire]. Non mais tu sais les gens disent ça sur le moment parce qu’ils sont excités et qu’ils t’ont vue sur scène.

Et au fait là, tu me dis tu…

Oui je sais…

Je suis navré mais on ne s’est vus que deux fois dans nos vies respectives…

Exactement, c’est horrible… Mais je suis comme ça. C’est plus facile pour moi parce que j’ai le Français comme ça. Je n’ai pas pris de cours et tout de suite, j’ai tutoyé les gens parce que c’était des musiciens et qu’on était en tournée. Mais je vouvoie les personnes âgées. Mais si « vous » voulez…

Non, je ne suis pas assez âgé… [rire de Carole]. Vous seriez amoureuse de moi, Carole Fredericks…

Ah ! je ne crois pas [rire]

Non non, attendez. Pourquoi pas ? Parce que je suis blond ?

[rire] Oh pas du tout ?

Je suis trop jeune ?

Oh non pas du tout, pas du tout. C’est pour te taquiner…

Bon. Je reprends. Vous seriez amoureuse de moi, ne le diriez-vous pas à votre famille, parce que je suis jeune, beau, riche, célèbre et menteur, ou parce que je suis blanc/blond ?

Heu… Menteur oui. Si c’était quelqu’un de menteur, je ne le dirai à personne et j’espère que je ne tomberai pas sur quelqu’un comme ça. Mais la couleur, ce n’est même pas important. Si on peut trouver l’amour, on s’en fiche.

Vous n’avez jamais été raciste ?

Je pense que tout le monde est raciste. Quand les gens disent « je ne suis pas raciste », je dis [Carole souffle]. On a tous quelque chose que l’on doit travailler dans ce domaine là.

Parce qu’aux Etats-Unis, votre famille a été l’une des premières familles noires à s’installer dans une rue où il n’y avait que des blancs. Donc on verra comment ça s’est passé. Mais on imagine qu’il y a eu du racisme dans un sens, évidemment, la majorité blanche par rapport à la petite minorité familiale noire, mais on n’imagine pas le contraire. Est-ce que vraiment, si vous m’aimiez, moi qui suis blanc de blanc de peau, vous pourriez le dire et me montrer, me présenter à votre famille, ou vous auriez peur du jugement, parce que vous trahiriez la communauté noire-américaine ?

Surtout pas ! Ma famille est très ouverte et justement, j’ai deux belles-sœurs qui sont blanches. J’ai un beau frère qui est blanc aussi. Donc voilà, vous êtes déjà dans la famille ! [Rire].

[rire] Chouette ! Vous avez chanté, il y a un certain temps, mais vous le faites encore, j’imagine pour votre plaisir, du gospel dans une chorale. Chanter du gospel, c’est prier. Mais quand vous chantez, là en l’occurrence Jean-Jacques Goldman par exemple, vous priez aussi ? Quand vous chantez sur toutes les scènes de France, vous priez ? Et vous considérez que le public est à convertir ?

Je fais des prières quand je monte sur scène, parce que j’ai toujours peur et j’ai le trac. Quand je chante du gospel, je m’éclate. C’est différent parce qu’il y a les paroles de Dieu dedans et c’est une autre chose. Avec Jean-Jacques et Mickaël je me suis éclatée en chantant avec les gens et avec le public. Ce sont deux choses différentes.

Vous avez prié depuis ce matin ?

Oui.

Où ? Quand ?

[rire] C’était ce matin.

Chez vous comme ça…

Oui, j’ai remercié le bon Dieu et voilà…

Et ce soir, quand vous allez vous endormir, vous allez comme Marylin Monroe, vous mettre quelques gouttes de Chanel numéro 5, ou quelques gouttes d’eau de bénitier ?

Je mets l’eau bénite le matin.

Et le soir Chanel…

[éclat de rire] Il est fou…

Désolé. Le matin, vous faites quoi avec l’eau bénite ?

Vraiment c’est personnel hein !

Mais alors vous êtes là pour quoi ? [Rire de Carole] Pour être déshabillée chère Madame. Je ne fais que commencer ! [Rire de Carole]. Bon on ne saura jamais ce qu’elle fait de l’eau bénite. Elle le met derrière le lobe gauche de l’oreille. Voilà. [Carole rit de bon cœur]. Bon, elle ne veut pas continuer. Ecoutons-la chanter ! Ecoutons là chanter ! « Respire ». Carole Fredericks sur Europe 1.

[Carole Fredericks – « Respire »]

Vous êtes bien sur Europe 1. Texte et musique imaginés par Jean-Jacques Goldman. C’est un extrait de l’album « Couleurs et parfums ». Carole Fredericks, vous serez sur la scène à Paris du 2 au 11 décembre et ça c’est plutôt original parce que le lieu n’est pas assez connu à mon avis des Parisiens. Il est à deux pas de Saint-Germain-des-Prés, du Flore, des deux Magots et de cette merveilleuse église. Vous serez à l’auditorium de Saint-Germain-des-Prés du 2 au 11 décembre et puis même le 31 décembre au Lido de Paris. Au moins vous, vous saurez où vous serez pour le passage du deuxième au troisième millénaire [rire de Carole].

Je voulais vous demander ceci : lorsque vous êtes arrivée il y a une vingtaine d’années, vous avez commencé par la petite porte, comme on dit, c’est-à-dire que vous avez beaucoup chanté avec d’autres, derrière d’autres. Alors évidemment la liste, vue de loin, est impressionnante : vous avez travaillé avec Dalida, Johnny Hallyday, Laurent Voulzy, Michel Berger, Eddy Mitchell. Plus tard avec Gilbert Bécaud, puis Mireille Mathieu. Puis plus tard avec Céline Dion, Elton John, Eric Clapton. Enfin ça fait beaucoup de gens qui ont des égos assez forts. Un de vos talents, c’est l’abnégation [rire de Carole]. C’est de savoir porter les coups et d’être maltraitée dans l’ombre.

Pourquoi tu penses que les gens maltraitent les gens ? Les gens qui sont grands sont très humains. Et j’ai eu beaucoup, beaucoup de chance de travailler avec eux.

C’est-à-dire que vous ne dites pas : j’en ai bavé, on m’a méprisée…

Mais bien sûr…

Parce que je n’étais pas connu, je venais des Etats-Unis, je ne parlais pas trois mots de Français…

Il y a des gens comme ça, mais on trouve ces gens dans n’importe quel genre de métier. Et on fait avec. Quand quelqu’un me demande de travailler, j’accepte le travail et je fais le travail et peut-être je ne le refais pas ensuite mais…

Mais vous savez dire « non » quand même aussi…

Oui, mais il faut que tu sois diplomate aussi quand tu es choriste, parce que tu es choriste.

Parce qu’en fait, quand vous étiez choriste, vous n’aviez pas le complexe de devenir soliste. Vous saviez que c’était un moyen d’apprendre et vous avez fait au mieux votre travail de choriste.

Exactement

De votre part, il n’y a pas eu de jalousie par rapport au succès des autres…

Non, pas du tout. Moi je n’étais jamais envieuse. Il y a des raisons parce que je me suis dis que s’il y a quelque chose pour moi, ça va venir. Ma place est à moi. Je ne l’ai pas volée et si il y a quelqu’un d’autre qui a accédé avant moi ça m’a fait espérer, parce que je me suis dit que si c’est arrivé à elle ou eux, pourquoi pas moi ?

Alors il y a sûrement un de vos talents, c’est quand même la capacité d’adaptation parce que lorsque vous êtes arrivée en France, vous ne parliez pas le Français. C’était il y exactement 20 ans. En 79. Vous arriviez de Memphis, San Francisco, etc. Parlons de la capacité d’adaptation. Lorsque vous êtes arrivée en France, ça a été un véritable choc. C’est-à-dire que vous vous êtes sentie perdue, vous avez dévoré la France comme personne, ou vous avez eu du mal… Comment ça s’est passé ?

Au début, c’était tellement énorme que je me disais : qu’est-ce que je fais ici ? Mais c’était tellement beau Paris. J’ai découvert Paris. La première fois que j’ai vu la place de la Concorde j’ai pleuré. Je n’ai jamais pensé que la tour Eiffel pouvait être aussi grande. Tout était énorme pour moi parce que je n’avais pas mes repères. Mais vite fait, quand j’ai commencé à travailler, trois semaines plus tard j’ai commencé à faire des séances. J’ai donc eu énormément de chance. Là j’ai commencé à bosser et plus vite j’ai commencé à parler, même si c’était nul et avec beaucoup de fautes, ça devenait plus facile.

C’est-à-dire que vous avez presque chanté en Français avant de parler en Français.

Oui. Même sur les tournées que je faisais je chantais en Français et je ne savais (ce que je disais ?)

Est-ce que maintenant vous rêvez en Français ?

Oui, parfois. Et quand je rêve en Français, je parle parfaitement bien, aucune faute ! [rire]

Evidemment, aucune faute. Vous avez ou vous voulez la nationalité française ?

Non. Pourquoi ?

Depuis 20 ans en France, on pourrait imaginer que vous ayez envie de voter, de faire partie de la vie politique du pays qui vous accueille.

Non parce que je pense que je suis résidente ici, je paie mes impôts ici, je me sens bien ici, mais je peux voyager dans tous les mêmes pays avec mon passeport américain qu’avec un passeport français.

Aucun intérêt…

Non, parce que je ne suis pas Française. Mais je suis une Américaine qui habite en France et qui apprécie beaucoup et voilà.

Qu’est-ce qui vous manque ou qui vous manque, tout de suite, à la seconde où on se parle tous les deux ?

Aux Etats-Unis ?

Non. Est-ce que quelque chose vous manque ? Si je vous dis : qu’est-ce qui vous manque ? Vous pensez à quoi ?

Ca c’est privé [rire]

Encore ??!!

C’est privé donc voilà… Non mais il y a plein de choses. Moi, je n’ai pas à me plaindre parce que tout ce qui m’est arrivé, c’est quand même incroyable. Même moi je n’arrive pas à y croire parfois. Je me dis : mais ce n’est pas possible !

Mais pourquoi est-ce que vous faites semblant ? Ca c’est vraiment Américain. Que tout va bien, on gère tout, on dirige tout…

Moi je ne fais pas semblant…

On a l’impression que vous n’avez jamais été victime de rien.

Mais c’est toi qui dis ça. Moi je n’ai pas dit ça, mais je ne vois pas pourquoi je vais parler de ces choses-là. Bien sûr, comme tout le monde, j’ai été victime de plein de choses. Mais moi, je parle des choses qui sont positives, parce qu’on passe notre temps de parler des choses qui sont négatives…

Mais ça peut être positif de dire : voilà, j’ai été victime de ça, mais je m’en suis sortie.

Bah oui mais bon… Quel intérêt ? Dis-moi, personnellement…

Ca s’appelle la pudeur ça de ne pas vouloir répondre ?

Peut-être, peut-être… Mais je suis comme tout le monde, j’ai des petits chagrins, j’ai des petits soucis, des angoisses, comme tout le monde. Ca sert à quoi ? Nous avons tous les mêmes choses.

Est-ce que vous avez vraiment ce métier pour recevoir des fleurs ?

Je fais ce métier parce que j’adore chanter. Je n’ai jamais pensé que je serais obligée de faire ce métier, de gagner ma vie, de vivre…

Non mais moi on m’a dit que petite, vous rêviez déjà de recevoir des fleurs…

Non, quand j’étais petite, je rêvais de chanter.

Alors les fleurs c’était après !

[rire] Ah, ce Daniel…

Bon. Et maintenant, quand vous recevez des fleurs avec des jolis mots, vous êtes troublée ou vous savez que ce sont des gens qui ne vous connaissent pas qui s’adressent à quelqu’un de connu ?

Ca dépend. Parfois, il y a des mots qui te touchent. Ca dépend, comme tout.

L’interview continue avec une autre artiste. Carole Fredericks parle très peu ensuite et l’interview s’arrête brusquement.

mercredi 29 septembre 1999

Entretien avec Karen Cheryl

  • Entretien avec Karen Cheryl sur Europe 1
  • 29.09.1999
  • Marianne Cassini

Avant de rencontrer Goldman, Carole Fredericks, américaine de Springfield dans le Massachusetts (ce n’est pas du tout facile à dire !), était l’une des voix de studio les plus recherchées. Elle a chanté auprès de Michel Berger, France Gall, Souchon, Voulzy, Eddy Mitchell… Goldman, en entrainant Carole Fredericks sur le devant de la scène, a non seulement contribué à lui donner un visage, mais en a fait la Diva de notre chanson française. Une Diva qui a une joie de vivre communicative vous allez le voir, et qui est mon invitée, aujourd’hui, jusqu’à 18 heures.

[Carole Fredericks - « Qu’est-ce qui t’amène »]

Carole Fredericks, « Qu’est-ce qui t’amène », de l’album « Couleurs et parfums ». Bonjour Carole Fredericks !

Bonjour.

Carole, tu me confiais à l’instant que, comme ça au hasard des diffusions radiophoniques, quand tu écoutais un de tes titres, ça te procurait carrément une joie enfantine.

Oui, c’est fou et ça fait depuis longtemps. A chaque fois que j’entends une de mes chansons ou une où j’ai participé, cela me donne une joie comme une petite gamine, qui se trouve dans sa boîte de bonbons préférés. C’est vraiment une joie…

C’est la récompense suprême ?

Je ne sais pas. Mais je sais que ça me fait tellement plaisir que parfois je me dis : « mais calme-toi ! ».

Pas du tout lassée, pas du tout blasée par le succès.

Oh, il y a tellement de choses dans ce métier qui sont merveilleuses.

Justement, on va évoquer tout ça. On va reprendre le fil chronologique de l’histoire : en fait alors, ta mère était chanteuse de Big Band, ton père pianiste, je crois qu’il y a pas mal de personnes qui l’ignorent, tu es la sœur du célèbre Taj Mahal. Finalement, le don pour la musique, c’est héréditaire !

Oui, dans la famille, c’est mon frère ainé. Quand on était petits, souvent il débarquait à la maison avec tous ses musiciens et ils jouaient. On faisait des bœufs, on découvrait plein de nouveautés.

Grande famille !

Oui. Sept frères et une sœur. Avec moi, neuf. Ca fait beaucoup.

Alors vous avez toujours baigné dans la musique ?

Oui. Un petit frère batteur/chanteur, une sœur qui est chanteuse-actrice…

Officiellement, tes premiers pas en musique, tu les a fais sous l’aile protectrice, on pourrait presque dire, de ton frère ainé Taj Mahal, dans des séances de chœurs, tout en chantant dans une chorale de gospel. En fait, tu n’as jamais douté que la musique, c’était ton destin ?

Depuis l’âge de 5 ans, j’ai toujours rêvé d’être une chanteuse. En fait, je savais que je voulais chanter dans ma vie et je remercie le bon Dieu tous les jours. Mais je n’aurais jamais imaginé que ça m’aurait amené amenée aussi loin, dans un autre pays merveilleux comme la France, où je parle une autre langue.

Qu’est-ce qui a fait qu’un beau jour de 1979 justement, tu aies décidé de quitter San Francisco pour venir à Paris, avec paraît-il simplement un aller simple ?

C’était sur un coup de tête. On peut dire que c’est la jeunesse, on peut dire plein de choses… mais j’ai eu un ras-le-bol de ma situation. En dehors de la chorale de gospel qui était magnifique, je faisais plein de choses autour musicalement qui ne me plaisaient pas. Je travaillais dans un bureau parce qu’il fallait payer les factures en fin de mois, mais je n’étais pas satisfaite de ma vie. Et c’est vrai que dans un restaurant français très chic où je chantais, j’ai rencontré des Français qui m’ont dit : Ha, il faut que vous alliez en France !

« La belle Hélène » à San Francisco et tu chantais en fait…

Je chantais des standards. Un jour, le patron me dit « Pourquoi pas, vous n’êtes pas si mal que ça, vous avez un peu de talent, vous n’êtes pas méchante, allez voir. Et si ça marche, super. Et sinon, vous n’aurez pas de regret ». Je peux dire que je suis allée découvrir un autre pays et je suis partie comme ça.

Mais tu ne parlais pas un mot de français. Comment tu t’es intégrée ?

Ecoute, j’ai eu énormément de chance aussi.

C’est déterminant la chance aussi, au départ.

C’est une chose dingue, inimaginable. J’ai rencontré le patron du restaurant « La belle Hélène » à l’aéroport, ici en France. Il m’a dit : « Ecoute, j’ai des amis, vous pouvez venir et rester avec nous ». Je suis restée avec eux et puis, ils m’ont trimballée de soirées en soirées. J’ai rencontré des gens qui m’ont demandé de chanter, notamment un monsieur qui m’a proposé de faire un album. Je suis allée au rendez-vous et en effet, j’ai fait un album [NDLR : « Black Orchid »], très nul, qui a peut-être été vendu à dix exemplaires…

Ce n’est pas parce qu’il ne s’est vendu qu’à dix exemplaires qu’il était nul…

C’était mes premiers pas dans le métier ici et j’avais rencontré une fille qui s’appelle Ann Calvet, une américaine qui vit en France depuis l’âge de douze ans. Elle cherchait une fille pour faire des chœurs avec elle et trois mois plus tard, nous avons rencontré Yvonne Jones. Nous avons commencé comme cela. Par le bouche à oreille, les gens ont commencé à parler de nous.

Et c’est comme ça que tu t’es retrouvée finalement sur les albums des plus grandes stars.

Exactement, ça s’est fait comme ainsi. J’ai eu beaucoup de chance. J’étais peut-être dans le bon endroit, au bon moment. Je ne sais pas… Cela a commencé comme ça. Après, on a fait une petite tournée avec Voulzy, après une grande tournée avec Berger… C’était comme une boule de neige.

Tu sais qui a envie de chanter pour toi ?

Qui ?

Chris Isaak

Ah oui !

Bonne affaire pour Chris Isaak puisque finalement, Stanley Kubrick avait décidé, peu de temps hélas avant de disparaître, de récupérer cette chanson « Baby Did A Bad, Bad Thing », écrite et composée il y a pas mal d’années et voilà, elle figure dans la bande originale du nouveau film de Kubrick, « Eyes Wide Shut », film qui sortira le 15 septembre prochain, en France. Ca te plaît ce morceau, je crois, Carole Fredericks ?

Ah oui ça m’a beaucoup plu.

C’est le blues ?

Oui oui oui. La guitare un peu doodle… [rire]

Oui oui c’est ça !

Oui oui j’aime ça.

Carole Fredericks, curieusement, alors que tu accompagnais en concert (on reprend le parcours, le cheminement) toutes les pop stars et les rocks stars françaises, ce n’est pas la musique qui t’a placée en premier dans les lumières, mais le cinéma, grâce à l’un des plus fameux castings director en France, Dominique Besnehard, qui t’avait repérée. Tu peux nous raconter la rencontre ?

Dominique m’avait vue sur scène avec Michel Berger. Après il a essayé de me placer de temps en temps dans des pubs ou dans des films…

En fait, il a eu un déclic en te voyant lors d’un concert !

Voilà, il m’avue sur scène. Et puis un jour il m’a parlé d’un film de Polanski et figurez vous oui, j’ai été choisie et j’ai tourné pendant quatre semaines pour le film « Pirates ».

Tu ne t’es pas arrêtée là. Tu as été repérée par Besnehard. Ca t’a valu un cursus cinématographique impressionnant parce que, effectivement, tu as tourné dans « Pirates » de Polanski, mais dans « Je vous aime » de Claude Berri avec Catherine Deneuve, « I love You » de Marco Ferreri, « Roselyne et les lions » de Jean-Jacques Beineix, « Les frères Pétard » également…

« Les frère Pétard », « Les deux crocodiles »…

Une vraie carrière cinématographique…

Carrière cinématographique, je ne sais pas…

Avec un éventail large…

Oui c’est vrai, j’avais tapé assez fort avec des grands metteurs en scène, sans savoir pourquoi. Je suis très contente. C’est une expérience qui m’enrichie toujours.

Quel est ton meilleur souvenir sur un plateau de cinéma ?

[Carole hésite] Je pense que c’est « Roselyne et les lions » parce que j’étais obligée de rentrer dans la cage avec les lionnes. Il y en avait 6 ou 8 et pendant une semaine, pendant 5 à 10 minutes par jour, il fallait rentrer dans cette cage pour voir si l’odeur que je dégage ne les dérangeait pas.

C’était pour avoir le temps de se familiariser à toi…

C’était un défi pour moi parce que j’avais peur [rire]. J’avais vraiment franchement peur. Je suis rentrée là-dedans, je suis montée sur une espèce de tabouret et elles étaient tout autour de moi. Ca, c’était quelque chose.

Finalement, tu penses qu’en restant aux Etats-Unis, tu ne te serais pas exprimée aussi pleinement ?

Je ne peux pas dire ça parce que je ne suis pas restée. Mais je sais que je n’ai aucun regret d’être partie, parce que je parle français maintenant. Parfois je fais des fautes, mais quand même je parle français. Quand j’étais au lycée, j’ai appris l’espagnol et j’étais nulle. Mon professeur m’avait dit : « Vous n’avez aucune aptitude pour apprendre la langue ». Et là je dis « Pfff…» à elle [rire] quand même, je m’exprime en français. Et je chante…

On va parler d’une après-midi, à mon avis, que tu n’oublieras jamais Carole Fredericks. C’est un après-midi de 1986… Le téléphone sonne…

Oui…

Le téléphone sonne, la Diva est là, elle est chez elle, elle décroche, et au bout du fil, Jean-Jacques Goldman, qui t’annonce qu’il souhaite carrément t’enlever pour sa prochaine tournée. C’est la plus belle rencontre de ta carrière ?

Oh oui ! Musicalement et pour plein de raisons. D’abord j’étais tellement étonnée que ce soit lui qui m’appelle. Je n’arrêtais pas de rire. Il me disait : « mais pourquoi tu ris ? ». Je lui disais : « mais parce que c’est toi qui m’appelles. Ce n’est pas un manager ou quelqu’un de la maison de disque ». C’est vrai que c’est l’une de mes rencontres musicales les plus fortes de ma carrière en France. C’est même sûr et certain. C’était une admiration musicale et après qui est devenu une admiration musicale et amitié. Ce sont des choses qui sont merveilleuses. C’est vraiment une chose qui m’a vraiment marquée et c’est grâce à lui que les gens ont mis un visage sur un nom. Je ne peux pas dire autrement. Je ne suis pas objective vis-à-vis de lui non plus ! [rire]

Il s’est emparé de toi ; il t’a enlevée donc, dans un premier temps, pour une tournée, mais finalement, qu’est-ce qui fait selon toi que ça va aboutir quatre ans plus tard au trio Fredericks, Goldman and Jones ? Vous avez vraiment constitué une famille musicale…

Tu vois, je n’étais jamais derrière. J’étais toujours devant et il m’a encore plus poussée devant. A l’époque du premier album de Fredericks Goldman Jones, il m’avait que quand il écrivait les chansons, il entendait nos trois voix dans sa tête. Donc moi je ne me bats pas contre ça. C’était très simple. Il m’avait dit qu’on était toujours en concubinage et qu’on est tellement bien qu’il a juste régularisé les choses.

Jolie formule… Dis-moi Carole, Goldman, au quotidien, il ressemble tout à fait à ce qu’on imagine de lui ?

Je ne parle pas beaucoup de lui, sur ce qu’il fait quand il n’est pas sur scène, mais c’est quelqu’un de très gentil, de très honnête, de très net…

… de limpide, de direct ?

De direct. Il sait ce qu’il veut, très sincère et très juste.

86, ça, on en a parlé, tu n’oublieras pas. Mais 91, c’est l’année de tous les succès. L’album « Fredericks Goldman Jones » sort en décembre, devient disque de diamant et génère une tournée mondiale. Quel pays vous a réservé l’accueil le plus émouvant ?

A Bali car on a chanté dans un temple. Je me souviens que le matériel n’était pas comme il faut, mais comme par miracle, tout était bien. C’était magique, vraiment magique.

On va repartir en musique, Carole, accompagnées de Nathalie Cardone.

[Nathalie Cardone : « Mon ange »]

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Carole, dis-moi, faire partie d’un trio aussi encensé et adulé que Fredericks-Goldman-Jones, cela a dû complètement bouleverser ta vie…

Cela a changé plein de choses, c’est vrai…

Pratiquement tout ?

Pas pratiquement tout mais c’est vrai que ça change parce que autour de soi, il y a les gens qui changent en bien ou en mal. Il faut gérer plein de choses. Mais en gros, c’était merveilleux. Comme j’avais, déjà, des vrais amis, des vrais de vrais, je n’étais pas complètement déstabilisée, mais c’est vrai que tout d’un coup, ça prend une ampleur et tu te dis mais attends, qu’est-ce qui se passe ? [rire]

Et les amis d’hier sont restés les amis d’aujourd’hui…

Oui…

Le directeur de la « Belle Hélène » qui a quand même joué les anges gardiens pour toi. Il t’a montré du doigt la France, en disant qu’il fallait absolument aller tenter ta chance là-bas, et que tu le retrouves complètement miraculeusement ici à Paris quand tu as débarqué et qu’il t’a indiqué des adresses… Il est au courant de tout ce qui t’es arrivé depuis ?

Oui. Et il est très fier. Et justement, on s’est revus il y a peut-être un an et demi. Il était revenu pour Noël et c’était très très bien. On était très contents. On reste en contact et je lui envoie tout ce que je fais. Il est très fier.

Pendant 4 ans, tu as enchainé, au nom de Fredericks Goldman Jones, des albums de platine et de diamant…

Jamais moins…

Et Goldman, travaillant pour Céline Dion, tu t’es mise à chanter évidemment sur ses albums. Alors en fait, Goldman t’a invité invitée à participer à toutes ses aventures musicales…

Presque toutes, c’est comme ça. Je fais partie de la famille avec Michaël Jones, Gildas Arzel, Erick Benzi, Jacques Veneruso et Yvonne Jones. Donc quand il y a des projets, souvent nous sommes dessus.

C’est la famille…

Oui…

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Carole, quel a été le déclic, il y a 4 ans je crois, qui t’a poussée à faire l’école buissonnière en quelque sorte, et à préparer ton premier album solo ?

Déclic, je ne sais pas. Pendant beaucoup d’années, il y avait des fans qui me demandaient : « Ah, mais quand est-ce que tu vas faire un petit disque toute seule, un petit gospel et Blues pour nous ? » J’ai dit : « Bon, je ne suis pas encore prête [rire], je suis bien, je suis en train de vivre mon aventure avec Jean-Jacques et Michaël. Ce n’était pas vraiment calculé, mais la progression logique des choses et à un moment, ce fut le bon. On a dit « on va se lancer, pour voir ». Et donc on s’est lancés et voilà [rire].

Et alors dans la foulée de ce premier album solo, tu as constitué ton propre groupe : les Dragons ?

Oui, j’avais envie de faire cela avec des musiciens qui n’étaient pas connus, parce qu’on a des musiciens partout en France qui sont formidables. Donc on a fait des auditions. C’était un peu difficile parce que normalement, il y avait des gens qui faisaient cela pour moi mais bon… j’ai dû prendre plus de responsabilité. J’ai choisi un groupe de musiciens qui sont adorables, très efficaces et avec beaucoup de talent. On s’éclate beaucoup. Et je les ai appelés « Mes Dragons ». Et j’ai deux anges qui font les chœurs.

Et les deux anges sont…

Et les deux anges, Yvonne Jones, avec qui je bosse depuis que je suis en France, et Maria Popkiewicz, qui est une grande voix et qui est en France depuis longtemps. Des filles qui sont formidables…

En fait, avec ton groupe « Les Dragons », tu as abordé la scène d’une manière un peu plus intimiste, que la façon dont tu vivais la scène en compagnie de Goldman et Michaël Jones ?

Je monte sur scène avec mes gars et je chante. Et on s’éclate. On fait tout pour faire ça. Il n’y a pas de choses autour, je n’ai pas d’effets spéciaux. J’essaie d’être un effet spécial moi-même [rire de Carole et Karen]

Et tu l’es ! Dis-moi, avec ce groupe en fait, la musique que tu défends sur scène, c’est un retour à tes racines ? C’est le blues, la soul ?

C’est la soul, le gospel, le rythm & blues. Mais maintenant, j’interprète « Qu’est-ce qui t’amène », parce qu’il faut, mais les gens sont très ravis d’écouter en Français à nouveau et moi aussi. [rire de Karen]

Tu as fait ta route, mais tu as cheminé en parallèle avec celle de Goldman, puisque vous vous retrouvez très régulièrement pour des enregistrements. Pourtant, l’album qui est sorti au printemps reflète à présent très exactement tes envies. Tu pourrais nous parler de deux personnes nouvelles qui sont Jacques Veneruso et Christophe Battaglia ? Deux nouveaux venus dans la tribu, la famille de Carole Fredericks.

Jacques était là depuis longtemps puisqu’il a participé au précédent album, et c’est lui qui a écrit la musique pour « Personne ne saurait ». C’est un petit tube que j’avais fait l’été dernier avec « Les Poetic Lover ». Et Christophe, c’est vraiment le petit dernier, le petit nouveau, qui s’est marié la semaine dernière [rire] C’est mignon !

Tous nos vœux de bonheur…

Christophe, c’est le programmateur parce que je voulais faire ce nouvel album avec un éventail un peu plus large. Etre un peu plus blues, soul, pop, variété, avec un peu de rap, des choses comme ça, mais taillés taillé (je pense qu’on parle de l’album ?) pour Carole. Et je me suis dit : on va faire cela avec un programmateur, mais pas avec n’importe lequel parce que j’étais toujours contre. Mais il est très très fort…

Tu étais contre un programmateur. Pour quelle raison ?

Je me disais que ce n’était pas des vrais instruments, et c’est vrai. Je voulais des instruments, mais il m’a bien convaincu convaincue qu’on peut mélanger les deux et que ça se marie très bien. Voilà, ce sont les deux nouveaux. Mais Jacques, ce n’est pas vraiment un nouveau parce qu’il était de l’ex-groupe « Canada », c’était le chef d’orchestre de Florent Pagny, il a écrit pour beaucoup d’interprètes. Jacques, c’est quelqu’un que j’apprécie énormément, et Christophe aussi, parce qu’on communique très bien entre nous, c’est très important. J’avais l’espace pour donner mes idées et pour voir les gens qui m’écoutent et vice versa. Et c’était très bien. C’est très agréable de travailler avec des gens qui d’abord, à la base, il y a de l’admiration, du talent, et il y a cette forme de communication qui est très importante pour moi.

On va retrouver un des petits bijoux de la pop des années 80. Si je te parle de James Ingram et Michaël McDonald…

Ha oui ! « Ya mo B there »…

On fait les chœurs ? [rire de Carole et Karen]

Oui !

[James Ingram et Michaël McDonald : « Ya mo B there »]

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Je suis drôlement gâtée puisque Carole Fredericks est mon invitée. L’album « Couleurs et parfums »… Couleurs… si je pouvais faire une description de la tenue : c’est technicolor… [rire de Carole] La robe est d’un jaune fluorescent explosif, saupoudrée de pâquerettes et de marguerites, il y a profusion de bijoux, colliers d’ambre, des bracelets… Il doit y en avoir une bonne quinzaine à chaque poignet, des bagues à chaque doigt, les tresses bleues, comme la couleur d’ailleurs des ongles… « Voilà, cette femme est en technicolor ». Je vous avais dit que c’était une vraie Diva [rire de Carole]. L’album donc « Couleurs et parfums » est sorti le 5 mai. Carole Fredericks, est-ce qu’une version anglaise est envisageable ?

Pour le moment, on n’y a pas pensé parce que j’avais tellement envie de chanter en Français cette fois-ci. On n’est pas contre pour le moment. J’aimerais bien voir ce que cela fait, version française, en France et dans les pays francophones. Mais bon, je ne suis pas contre.

Tu n’as pas furieusement envie de chanter cet album, qui bien évidemment en ce moment est tout ce que tu as envie de nous livrer, dans ta langue maternelle ? Ce n’est pas quelque chose qui pour toi est un impératif ?

Non. C’est exactement comme les gens qui me demandent si je veux faire une grande carrière aux Etats-Unis. Je dis que j’habite ici, c’est ici que j’ai été bien accueillie, où j’ai eu mes grands succès, etc. Je ne veux pas dire non à quelque chose qui serait bien fait pour les Etats-Unis, mais ce n’est pas mon but. C’est la France…

Si je tente la question suivante : qu’est-ce qui manque dans le puzzle de ta vie pour que ton bonheur soit entier, parfait, absolu ?

Oh ben c’est très facile ! [rire]

Donc on zappe…

On zappe !

On dit que tu es très croyante. Qu’entre musique et éclats de rire, tu ne cesses de prier…

Pas autant que cela mais je prie beaucoup…

Tu es épiscopalienne c’est ça ?

Episcopalienne. C’est drôle à dire mais oui [rire] épis-co-pa-lienne.

Et souvent le dimanche, si on a envie de te croiser, et bien à l’église américaine de Paris, quai d’Orsay, c’est possible…

Oui…

C’est un rendez-vous hebdomadaire, incontournable…

Ca dépend des moments. J’ai envie, j’y vais.

C’est très important…

Oui, c’est très important pour moi et c’est très personnel aussi parce que je ne suis pas là à dire : il faut y croire comme moi. Je suis croyante et ça me guide bien.

Bon alors si maintenant, je te propose le septième ciel, c’est en phase.

Ah ben, oui.

[Jane Fostin - « Septième ciel »]

Carole Fredericks, dis moi, quels sont les endroits à Paris où tu aimes aller écouter de la musique ?

J’aime beaucoup aller voir des spectacles à l’Olympia. Je trouve que c’est une salle mythique et magique.

Des salles de jazz… Genre New Morning…

Le New Morning de temps en temps…

Le Duc des Lombards…

Il y a de l’ambiance dans le New Morning aussi, c’est vrai…

Et sinon les grands concerts ?

Les grands concerts heu… Bercy. Mais je n’aime pas les immenses stades parce que j’ai l’impression que les personnes que je vois sont tellement petites…

Alors par exemple le Stade de France, pour toi, c’est un exercice de style qui ne te tente pas.

Je n’aime pas. C’est tellement immense… On regarde les écrans… Mais il y a des gens qui adorent ça. Mais moi j’aime les salles intimes.

Tu vis en France depuis 20 ans. Qu’est-ce qui en fait en toi est demeuré définitivement américain et au contraire, qu’est-ce que tu penses avoir abandonné à notre culture ?

Hollola… ça je ne peux pas expliquer…

Par exemple, la cuisine qui vient de Caroline du sud. Tu es une cuisinière, c’est ça ?

Une cuisinière, je ne sais pas [rire]. Maman m’a appris à cuisiner à partir de l’âge de 9 ans et c’est vrai que j’aime beaucoup cuisiner les choses assez épicées, relevées bien comme il faut. Mais aussi en France, j’ai appris des bonnes choses aussi. Je fais une super mousse au chocolat, un poulet farci à l’ail, ciboulette et vin blanc…

Tu trouves les français, les Frenchies, définitivement très différents des Américains ?

Heu… Oui. Oui et non. Mais bon, moi j’ai l’habitude maintenant ! [rire]

Nos qualités et défauts…

On a tous des qualités et des défauts. C’est la différence qui est intéressante aussi…

Se retrouver sur un album avec ton frère ainé dont on a parlé tout à l’heure au début de cette émission, Taj Mahal, est-ce que c’est du domaine de l’envisageable ?

Déjà, sur mon précédent album, il est venu chanter en deuxième voix, il a joué derrière moi les chœurs et c’est vrai qu’on était tous impressionnés comme des gamins [rire] devant lui. Mais oui j’aimerais bien. Ca ferait super bien. En tout cas, il est très fier de moi parce qu’à chaque fois qu’il vient, tout le monde dit : « Ah, vous êtes le frère de Carole Fredericks ! ». Je dis « Ah ! » [rire]

Dis-moi Carole, pour se façonner la meilleure discothèque de l’été, est-ce que tu aurais des recommandations à nous faire comme ça, des albums par exemple que tu écoutes en boucle en ce moment ?

J’écoute beaucoup Mary J Blige, Kelly Price, Faith Evans, Lauryn Hill, le best of des Eagles, le best of d’Eurythmics [rire] et l’album de Lââm qui est très bien.

Et bien nous, on écoutera en boucle « Couleurs et parfums ». Merci infiniment Carole Fredericks…

Je vous en prie. Merci beaucoup.

mercredi 1 janvier 1997

Interview BMG - album « Springfield »

  • Interview BMG - album « Springfield »
  • Ce CD comprend les réponses aux 13 questions inscrits sur la pochette du CD. Il a été produit afin de permettre aux journalistes de faire leur propre interview sans que la présence de Carole soit nécessaire.
  • 1997
  • Chrystèle Mollon

1/ D’où vient le titre de l’album ?

L’album s’appelle « Springfield », parce que c’est la ville où je suis née et où j’ai été élevée, et c’est à Springfield, au sein de ma famille, que j’ai écouté du blues, du jazz, du rythm’n’blues, du rock, du gospel... Quand j’étais enfant, c’était une ville avec beaucoup de maisons, très peu d’appartements, des arbres partout, c’était très vert, et c’était un endroit où il était idéal d’élever des enfants. Nous, on était la première famille noire dans notre quartier, et ça a chauffé un peu (rires)… et après on s’est compris.

Quand je repense à mon enfance dans cette ville, je me souviens bien que les quatre saisons étaient marquées : j’adorais l’automne, avec des feuilles de toutes les couleurs, l’hiver était bien froid avec la neige, le printemps était vert et beau et l’été chaud et humide… Springfield est une très très jolie ville de la Nouvelle Angleterre, et c’était la ville des arbres, c’était le nom que nous avions donné à Springfield pendant longtemps.

2/ Comment es-tu venu en France ?

Quand j’habitais en Californie, je chantais à la fois dans une fantastique chorale de gospel de 71 voix, « The New Generation Singers », et aussi dans un espèce de pub qui s’appelait « Top 40 » –l’équivalent du Top 50, et je chantais avec un trio dans le nord de San Francisco, dans une région de vignobles. Il y avait un restaurant français qui s’appelait « La belle Hélène », et je chantais là-bas, avec le trio, des standards de jazz et des choses comme ça.

Là-bas j’ai rencontré des Français là-bas qui m’ont dit : « Il faut que vous alliez en France ! ». J’ai dit : « Mais non j’ai jamais pensé à la France, je ne parle pas français, je ne connais personne… ». Mais finalement un beau jour, j’en ai eu ras le bol parce que je travaillais aussi dans un bureau, job pour lequel je n’étais pas du tout faite, mais il me fallait gagner ma vie et payer mes factures chaque mois... Et donc un beau jour je me suis dit « Mais pourquoi pas finalement ? Je ne veux pas regretter, à 50 ans, de ne pas avoir pris ce risque… Bon, j’y vais, j’y vais… » J’avais beaucoup de foi, et je me suis dit : « Je ne suis pas méchante, je chante à peu près bien… », et voilà je suis partie comme ça.

J’ai eu énormément de veine grâce… au Monsieur là-haut [elle lève la tête vers le ciel], parce qu’à l’aéroport, je suis tombée sur le propriétaire du restaurant français dans lequel je bossais aux Etats-Unis ! Faut le faire hein ! ! Il m’a dit « Mais qu’est-ce que vous faîtes ici ? », alors je lui ai répondu « Je viens tenter ma chance ». Il était avec des amis qui étaient très fous, très gentils, qui lui ont dit « Amène-là », et voilà !

Je suis restée avec eux quelques temps, ils m’ont emmenée partout avec eux dans des soirées. Et parce que j’étais chanteuse, tout le monde me demandait de chanter et voilà, pouf, trois semaines plus tard j’ai signé un contrat pour faire un album. C’était un album de disco qui n’était pas très bien, et qui s’est vendu à 10 exemplaires peut-être… Mais ça m’a au moins permis de rentrer dans les studios, de faire des séances, de rencontrer une fille qui s’appelle Anne Calvert, et trois mois plus tard Yvonne Jones, avec lesquelles on a commencé à faire des séances partout parce que ça passe par le bouche à oreilles, les gens parlent, et on a formé une très bonne équipe à cette époque là. C’était vraiment comme ça, on enchaînait les séances, puis ensuite les spectacles qu’on a fait avec Voulzy, avec Berger, avec France Gall, Eddy Mitchell, Mireille Mathieu et c’était comme ça !

3/ Comment as-tu rencontré Jean-Jacques Goldman ?

En 86 j’ai reçu un coup de fil chez moi, de quelqu’un qui disait : « Bonjour, je m’appelle Jean-Jacques Goldman ». J’ai commencé à rire, et il m’a dit : « Voilà, je cherche Carole Fredericks ». J’ai dit « C’est moi », et il m’a demandé si ça m’intéresserait de faire un espèce de gospel sur une chanson qui s’appelait Américain. J’ai dit « oui ». Et j’ai ri, alors il m’a demandé « Mais pourquoi tu ris ? », et j’ai répondu « Mais parce que, ça me plaît que ce soit toi qui m’appelle, et non pas un agent, sans intermédiaire… », et il m’a dit : « Mais ça me plaît aussi », et donc voilà c’est parti comme ça… C’est très simple, parfois les gens disent : « Mais comment elle a fait pour y arriver ? » Mais j’ai rien fait ! Les choses se sont faites d’elles-même. C’est pour ça que je dis que dans ce métier, c’est 80% de chance, et 20% de talent… Je ne cherchais pas, mais je suis bien sûr très contente que tout ça me soit arrivé. Avec Jean-Jacques, j’ai commencé comme choriste, mais je n’étais jamais derrière. C’était ça qui était drôle d’ailleurs, parce qu’il me poussait, il me disait :« Mais non, non non, chante plus, chante plus ! ». C’était drôle, mais je n’étais jamais derrière… C’était comme ça… J’ai commencé en chantant deux chansons, après trois, etc., voilà, le reste c’est un peu l’histoire quoi.

4/ Cet album est-il le début d’une carrière solo ?

Jean-Jacques, Michael et moi travaillons ensemble depuis 11 ans, sous différentes formes. J’ai commencé avec lui comme choriste, ensuite j’ai fait des chœurs sur ses albums à lui, il a écrit des chansons pour moi, il a fait des chœurs sur mon album, j’ai fait des chœurs sur cinq chansons de l’album de Céline Dion, qu’il a produit, Michael est en train de faire son album solo aussi -qui est somptueux, et Jean-Jacques a fait des choses là-dessus… Bref on travaille toujours ensemble, mais ça prend des formes différentes. Et nous, nous trouvons cela tout à fait normal : en tant qu’artiste, c’est la progression normale, on fait des choses séparément, mais on fait toujours des choses ensemble également. Parfois c’est Fredericks-Goldman-Jones, parfois c’est Jean-Jacques, Carole ou Michael, parfois c’est pour les autres, mais on travaille toujours ensemble.

5/ Que représente Springfield par rapport à ton premier album solo ?

En 1979, comme je ne parlais pas un mot de français, des gens se sont dit : « Voilà une fille on va la faire chanter », et c’est eux qui ont fait tout le disque, et ils ont tout décidé, je n’avais rien à dire, j’étais juste une voix. Cette fois-ci au contraire, j’ai choisi les chansons avec les gens, j’en ai écrit les paroles ; c’était moi qui étais "enceinte" et qui ai accouché avec tous ces gens-là. J’étais vraiment la pièce centrale de cet album, et j’avais tous ces gens autour de moi. Springfield est pour moi mon véritable premier album.

6/ Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant d’enregistrer cet album solo ?

Autour de moi, des gens, des fans me demandaient tout le temps : « Quand vas-tu faire un disque toute seule ? Quand vas-tu chanter du gospel et du blues ? » Or j’avais déjà chanté du gospel, du blues, donc je me disais non.. Mais comme les gens me le demandaient tout le temps, et qu’il est vrai que je chante très bien le blues… Mais j’étais quand même un peu intimidée aussi parce que mon grand frère est un chanteur de blues très très connu… Alors je me suis dit : « Ouh là là, ils vont dire que j’essaie de faire comme lui », alors que ce n’était pas ça du tout. Mais bon, maintenant c’était le bon moment, on avait le temps, on n’avait rien prévu pour Fredericks-Goldman-Jones, donc ça tombait très bien. Et tout de suite, les gens qui étaient convoqués pour travailler avec moi étaient tous pour, et tout s’est fait assez rapidement, et dans une très très bonne entente.

7/ Quels musiciens ont participé à Springfield ?

L ‘album est produit par Erick Benzi, que je connais parce qu’il a fait la tournée avec nous, et qu’il a travaillé sur deux albums de Fredericks-Goldman-Jones. On y trouve aussi Gildas Arzel, un ex-membre de Canada, qui a fait la première partie de Jean-Jacques quand je faisais les chœurs, Jacques Veneruzo, un ex-Canada lui aussi, avec lequel j’avais même fait des séances d’enregistrement. Yvonne Jones, avec laquelle je travaille depuis 18 ans parce que c’est l’une de mes meilleures amies et qu’elle chante divinement bien. Elle m’a même écrit une chanson, de même qu’Eric, Gildas et Jacques ; Jean-Jacques a écrit deux chansons, il a fait des chœurs, il a joué de la guitare. Le clavier Didier Moret, mes cuivres aussi, les Bat Bros, qui jouaient avec moi, et deux nouveaux, le bassiste qui jouait avec Erick, et Charlie Dole, qui est batteur et qui jouait avec eux. Donc tout ce monde-là était des gens avec lesquels on s’était croisés, ou on avait carrément déjà travaillé ensemble. Ce sont des amis, il y a beaucoup d’amour et d’amitié. Même mon frère m’a fait l‘immense honneur de venir jouer un peu d’harmonica et de chanter un peu ! C’était grandiose, parce que lui il m’a dit « Tu m’épates, les musiciens avec qui tu travailles sont vraiment super bien, la musique est parfaite ». C’était la bonne entente tout le long, c’était vraiment bien. Et là, pour la première fois, j’ai été poussée à faire des textes. J’ai fait douze textes… bon je ne dis pas que ce sont des textes à tomber par terre mais des textes qui tiennent debout.

8/ Comment s’est fait le choix de la Lafayette International Ensemble qui font les chœurs gospels sur l’album ?

On cherchait depuis un moment, et justement mon frère m’a appelée, en me demandant si j’avais besoin d’aide, besoin d’un musicien… Je lui ai dit que j’avais ce qu’il me fallait au niveau musicien, mais qu’on cherchait une chorale de gospel. Il m’a dit : « Ah, bouge pas, je connais des gens, avec qui j’ai bossé », et il nous a appelé le lendemain, et il nous a donné les coordonnées de Alaba Williams. On a pris contact avec lui, mon frère m’avait dit : « Tu ne seras pas du tout déçue », et il avait raison ! On est allé huit jours à NYC pour enregistrer les chœurs de gospel, 16 voix, moitié blanc, moitié noir. Parce qu’aux Etats-Unis, il y a des Blancs et des Noirs qui chantent le gospel. Et là c’était drôle parce que quand on voyait leur visage on se disait « bof », et quand ils ouvraient la bouche, ils étaient incroyables ! A un moment donné , j’ai pleuré de joie, parce que c’était si beau, et eux étaient là, si contents de le faire ! En plus, comme ils avaient déjà travaillé avec mon frère, ils étaient contents de rencontrer sa petite sœur… C’était drôle, parce qu’il y avait plein de petites choses, de liens : Alaba Williams venait de la même ville de Caroline du sud que ma mère. Un jour, alors que j’étais à la Nouvelle-Orléans pour tourner le clip, il y avait une espèce de baromètre sur la maison, sur lequel était marqué « Springfield »... Mais la chorale était magnifique, vraiment. Ils étaient là avec un bon esprit, ils chantaient bien, ils étaient heureux, et ça s’entend sur le disque !

9/ Que représente le gospel pour toi ?

Le gospel, c’est une musique sur laquelle on remercie Dieu en chantant, on parle de sa puissance, de sa majesté, c’est une musique qui vous touche au plus profond du cœur, et qui vous soulage. Certaines personnes entrent en transe ! Certains se roulent par terre ! Mais pas dans toutes les églises, ça dépend. Ce qui est bien et qui diffère des églises blanches ou occidentales, c’est que l’on peut dire « merci Mon Dieu ! », « Oui c’est vrai ! ». On peut exprimer notre foi en Dieu, on n’a pas peur du Bon Dieu, de Jésus, parce que ce sont des gens qui nous aiment.

10/ Es-tu croyante ?

C’est facile de croire en Dieu quand tout va bien. C’est très facile. Mais c’est quand tout va mal qu’on doit s’accrocher. Moi –je parle de ma religion à moi, parce que je n’essaie pas de changer les gens- toute ma vie j’ai été élevée avec ça, ma mère était très croyante, certaines personnes de ma famille aussi, et moi je sais, j’ai la preuve, j’ai ma preuve à moi. Je sais maintenant dans ce monde qui est tellement insensé qu’il faut que je m’accroche à quelque chose de plus fort. Parce que je ne suis rien sans Lui. Je ne peux pas expliquer pour les autres, mais je sais que moi je ne suis absolument rien sans Lui. Je fais mes prières pour tout le monde, parce que c’est facile de faire des prières pour soi-même. Mais ça l’est moins de prier pour les autres... Et surtout pour les autres qui n’y croient pas.

11/ Que voudrais-tu transmettre aux gens avec ce disque ?

Quand je chante, je me sens très bien. Et si je peux transmettre ces bons sentiments aux autres, c’est super ! Nous avons pris un immense plaisir à faire cet album. Et si les gens pouvaient ressentir ce plaisir, ce serait super ! On ne peut rien demander d’autre que ça.

Aussi, une autre petite chose : c’est vrai que tout ce qui est musique noire est mon héritage, mais j’ai toujours été très musique noire et rock, toute ma vie. Les gens sont toujours étonnés de ça, mais j’adore le rock, le rock pur et dur, le rock anglais, américain… Je suis très Aerosmith, Metallica… Certains me regardent, trouvent ça bizarre… Mais il y a quelque chose là dedans qui me fait vibrer. Il n’y a pas de frontière en matière de musique. Souvent, quand je chantais avec Jean-Jacques et Michael, des gens me faisaient des réflexions, me disant : « Je suis sûr que tu t’emmerdes ». Je disais : « Non, je ne m’emmerde pas du tout ! » La musique n’a pas de couleur, ni de langue, on peut la comprendre même si c’est dans une langue lointaine, si ça nous touche ça nous touche. Et c’est ça le pouvoir de la musique. Parce qu’il y a un pouvoir incroyable dans la musique.

12/ A l’instar de certains noirs Américains, te sens-tu des racines africaines ?

Je suis Noire américaine, et je viens d’Afrique, et je suis très fière de ce lien, parce que ce sont là mes racines, et les racines te donnent ta force. On peut mépriser plein de choses, mais il faut connaître ses racines, parce qu’elles sont fortes, c’est par elles que nous nous stabilisons. J’ai deux amies, Yvonne Jones, et Nicole Amova. Cette dernière est Sénégalaise et elle est comme ma sœur. La première fois que j’ai mis les pieds au Sénégal (c’était la première fois que je mettais mes pieds en Afrique noire), j’ai eu le sentiment que je revenais chez moi. Je suis allée sur l’île de Gorée parce que pour moi c’était comme un pèlerinage d’aller à la maison des esclaves. Je suis entrée dans cet endroit, et c’était comme si quelqu’un m’avait arraché le ventre. J’ai pleuré, j’ai touché les murs… Je ne m’attendais pas à ressentir une telle émotion ! Pour moi, c’était le dernier vestige de mes ancêtres. C’était fort, mais je n’étais pas amère après, contrairement à ce que craignaient certaines personnes, c’était quelque chose qu’il fallait que je fasse, et que j’ai fait. Ca m’a rendue plus forte, et je me suis dit : «Voilà, eux ils ont survécu, et c’est horrible. Donc moi, mes petits soucis, c’est rien ».

13/ Rêves-tu d’un succès aux Etats-Unis, ton pays natal ?

Je suis en France depuis 18 ans, et c’est la France qui m’a tout apporté vis à vis de ma carrière. Avec cet album, si ça marche en France, je serai très reconnaissante, mais il y a aussi les autres pays francophones, l’Europe… Je vais pas dire non pour les Etats-Unis sous prétexte que ça ne m’intéresse pas parce que je n’habite plus là-bas depuis 18 ans. Je suis une Américaine... en France ! Comme le disait Joséphine Becker [elle se met à fredonner] : « J’ai deux amours, mon pays et Paris » Et bon voilà ! Donc si ça marche, je ne vais pas dire non, mais ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse. Je n’ai jamais dit : « Il faut que je sois une vedette », nulle part. Moi je voulais chanter, et chanter avec des gens biens. Et c’est ce que j’ai fait, grâce à Dieu et grâce à des gens très très bien. Ce n’est pas quelque chose qui m’occupe l‘esprit.

14/ Bonus Ariola/BMG

C’est très bien, j’ai une équipe d’enfer ici, chez BMG Ariola, qui y croit, et ça c’est très important parce que c’est extrêmement agréable d’avoir une équipe derrière soi, qui, tu le sens, y croit, et qui aime la musique. Et j’ai de la chance d’avoir des gens comme ça autour de moi.